mercredi 31 décembre 2014

Le "nouveau pouvoir" selon Heimans et Timms


Et si derrière la nouvelle économie collaborative, c'était la redéfinition du « pouvoir » qui se jouait ? C'est l'hypothèse et l'analyse passionnante de Jeremy Heimans et Henry Timms, dans un article publié dans la « Harvard Business Review » de décembre, "comprendre le nouveau pouvoir".

« Le pouvoir ancien fonctionne comme une monnaie. Il est détenu par quelques uns. Une fois obtenu, il est jalousement gardé et les Puissants ont ensuite un stock substantiel à dépenser. Le pouvoir ancien est fermé, inaccessible et conduit par des leaders. Il est descendant et il capture. Le "pouvoir nouveau" ( new power ) fonctionne différemment, comme un courant. Il est créé par la multitude, il est ouvert, participatif et conduit par des pairs. Il télécharge et il distribue. Comme l'eau et l'électricité, il est plus puissant quand il déferle. L'enjeu ou le but avec ce nouveau pouvoir n'est pas de l'amasser mais de le canaliser ».

 Echelle de participation / le nouveau pouvoir
"

Simpliste, cette distinction ? Oui, si on prend en compte que le pouvoir est éminemment complexe, qu'il s'agisse de celui des entreprises, découlant de la puissance identitaire d'une marque, ou de celui des hommes, découlant de leur charisme, de leur réseau et de leur portefeuille. Mais la différenciation entre pouvoir ancien et nouveau que proposent Jeremy Heimans et Henry Timms est féconde : elle permet aux deux auteurs de proposer une analyse très intéressante des impacts possibles de la « nouvelle économie » (économie collaborative + plateformes internet de type Facebook) sur notre relation au pouvoir.

Il serait souhaitable que cet article majeur de la Harvard Business Review soit bientôt traduit et publié dans la version française du magazine HBR. En attendant, en voici un aperçu.

Les auteurs : Jeremy Heimans est président de l'organisation Purpose, après avoir été co-fondateur du réseau de pétitions citoyennes Avaaz. Henry Timms dirige le centre culturel 92nd Street à New York, après avoir co-fondé le Social Good Week.

Leur hypothèse centrale 
A travers la combinaison de l'économie participative de l'internet, symbolisée par Wikipedia et Facebook, avec la nouvelle économie collaborative (Blablacar, Airbnb, Uber...), « un nouvel ensemble de valeurs et de croyances se forge. Le pouvoir ne fait pas que couler différemment. Les gens sentent et pensent différemment ».  

Avec Facebook par exemple, « 500 millions de personnes partagent et transforment 30 milliards de morceaux de contenus chaque mois sur la plateforme, c'est un niveau hallucinant de participation duquel la survie de Facebook dépend ». Aujourd'hui, la majorité des "facebookiens" n'en sont pas conscients. Mais demain ? Déjà, les utilisateurs d'une plateforme de financement participatif et des bit coins voient différemment l'utilité des banques et des intermédiaires de crédit. Et les adeptes du co-voiturage remettent en cause le lien entre posséder une voiture et pouvoir se déplacer.



Un cadre pour comprendre les acteurs
Les auteurs fournissent une intéressante cartographie des acteurs, avec deux axes : valeurs de pouvoir (anciennes / nouvelles) et modèles de pouvoir (ancien / nouveau). Le nouveau modèle de pouvoir inclue Facebook et Uber, qui sont connecteurs. Mais ces entreprises ont des valeurs de pouvoir (actionnariat, gouvernance, secret) anciennes.

Apple et la NSA sont des « forteresses » au sens où elles cumulent l'ancien modèle de pouvoir avec les anciennes valeurs.

Les nouvelles valeurs et les nouveaux modèles se retrouvent combinés chez Wikipedia, Occupy et Etsy, que les auteurs appellent des « foules ».

Il y a enfin les « meneurs » (cheerleaders), comme la marque de vêtements durables Patagonia et The Guardian, qui associent un discours nouveau sur les valeurs de pouvoir, à un modèle réel de pouvoir plutôt « old school ».

Nouvelles stratégies
Bien sûr, les entreprises sont au courant de l'émergence de l'économie collaborative, même si la plupart n'ont pas la grille de lecture proposée dans l'article, ni une stratégie bien définie sur leur rapport au pouvoir. A leur égard, Heimans et Timms proposent une « marche à suivre » en trois étapes : s'évaluer + se confronter à ses opposants (en anticipant un "occupy" dans son entreprise !) + développer sa capacité de mobilisation. Signe que leur analyse est tout sauf simpliste, les deux auteurs signalent qu'un chemin possible pour un « leader » est le « bilinguisme ». Autrement dit, combiner comme selon eux Ariana Huffington le fait déjà, les deux approches, anciennes et nouvelles, du pouvoir.

La conclusion est une mise en perspective qui évite la naiveté. Les acteurs du « nouveau pouvoir » n'auront un impact profond et significatif que s'ils réussissent à modeler la structure et le système de nos sociétés. D'où un combat annoncé :

« La bataille qui s'annonce, que vous soyez en faveur des anciennes ou des nouvelles valeurs de pouvoir, portera sur le contrôle et modelage des structures et systèmes fondamentaux de la société ».

Structures et systèmes : les termes rappellent Marx et Levi-Strauss. Mais de quoi s'agit-il ? Il est dommage que les auteurs ne répondent pas à cette question brûlante, mais cela n'enlève rien à l'intérêt de leur papier : centrer la réflexion sur le pouvoir et inspirer les acteurs de l'économie collaborative. C'est-à-dire nous tous.



mercredi 17 décembre 2014

Démonstrateurs COP21 à Paris

La Mairie de Paris lance un appel à manifestation d'intérêt pour des démonstrateurs COP21. Les thématiques sont larges (efficacité énergétique, économie circulaire....). Les projets sélectionnés seront montrés aux Parisiens lors d'une exposition spécifique entre le 20 novembre et le 13 décembre 2015. Mais aussi pour certains, dès l'été 2015 à Paris Plage. L'appel est ouvert aux entreprises, associations, institutions académiques, qui devront financer elles-même leurs installations. La mairie se limitera à communiquer et à mettre à disposition l'espace public.



Je cite la Mairie :

" Les solutions et produits exposés devront relever dune des thématiques suivantes :
- Efficacité énergétique
- Production d’énergies renouvelables
- Économie circulaire
- Mobilité et logistique urbaines
- Adaptation et prévention
- Lutte contre la pollution
- Lutte contre les ilots de chaleur, outils de régulation thermique des territoires
(...)

Cet appel est ouvert à tous types d’acteurs (entreprises, ESS, associations, universités, écoles, laboratoires, collectifs…), français et internationaux, en capacité d’exposer à Paris un démonstrateur contribuant à la ville durable dans le calendrier indiqué ci-après. Il vise en particulier à faire la démonstration des savoir-faire des acteurs du secteur privé, du monde associatif et du monde de la recherche.

L’événement principal de cette exposition des innovations se tiendra vraisemblablement du 20 novembre au 13 décembre 2015, dans un espace public délimité à définir, tandis que d’autres évènements auront lieu entre mai et novembre.


La mobilisation Paris 2015 s’étendra sur toute l’année et de nombreux lieux et périodes d’exposition
en lien avec des évènements organisés à Paris sont proposés aux candidats intéressés.

Les évènements phares pré identifiés sont :
- Le Business & Climate Summit les 20 et 21 mai
- Paris Plages de mi-juillet à mi-août
- Les États Généraux du Grand Paris de l’Économie circulaire dont les conclusions se tiendront
du 14 au 16 septembre
- Le Conseil Mondial des Cités et Gouvernements Locaux Unis en novembre
- La COP 21 du 30 novembre au 11 décembre
Les lieux phares pour l’exposition de solutions sont :
- Les Quais de Seine (auxquels sont associées des règles particulières d’occupation du domaine public compte tenu de la proximité du fleuve et du caractère inondable de la zone)
- Le Bassin de la Villette et le Canal de l’Ourcq
- Le parvis de l’Hôtel de Ville
- Éventuellement d’autres espaces publics adaptés aux projets proposés

Calendrier de la consultation et modalités de candidature
Le calendrier de la consultation est le suivant :
  • Lancement de l’AMI : décembre 2014
  • Réunion d’information : 12 janvier 2015
  • Date limite de la déclaration d’intérêt: 31 janvier 2015
  • Pré-sélection et demande de dossier détaillé aux entreprises présélectionnées : Première quinzaine de février
  • Date limite de dépôt du dossier détaillé : début mars 2015
  • Instruction des dossiers et étude de faisabilité des déploiements : mars- avril 2015
  • Déploiements : de mai à novembre 2015
Une réunion d’information aura lieu le 12 janvier à 9h00 à l’Hôtel de Ville de Paris, accès par le 5 rue Lobau 75004 Paris.

Et voici ma suggestion personnelle aux inventeurs : créez-nous un composteur intelligent et pédagogique, à installer à Paris Plage. Ses parois seraient en partie transparentes, pour que le passant découvre l'activité bio-chimique. Il renseignerait, via des capteurs, sur la température, l'humidité, le niveau de qualité du compost. Et pourquoi pas une micro-caméra à l'intérieur pour suivre la microfaune ? ....

L'appel à manifestation est à télécharger ici : Appel à manifestation d’intérêt « Démonstrateurs de solutions pour le climat et la transition énergétique sur l’espace public parisien» Paris Climat 2015

Source :
http://www.paris.fr/pro/professionnels/paris-climat-2015-appel-a-manifestation-d-interet/rub_9487_actu_151781_port_24874


Photo : Bergeronnette des Ruisseaux / Tuileries 2013 / Jean-Jacques Boujot via Flickr

lundi 15 décembre 2014

Conférence Climat : Paris a sa coquille vide


 

19 ans après la première « conférence des parties » signataires de la convention climat de l'ONU, la vingtième « COP » s'est clôturée à Lima au Pérou, le 13 décembre. Résultat ? Un texte de 43 pages, « Lima Call for Climate Action », a été accepté à l'arrachée. Il est truffé de paragraphes optionnels, qui indiquent les désaccords restant à combler. Ce texte servira de base à l'accord définitif, attendu à Paris en décembre 2015. Echec, ou réussite, que cette COP de Lima ? Au sens strict, c'est-à-dire au vu des objectifs officiels, c'est une réussite, puisqu'une ébauche de texte a bel et bien été produite. Plus largement, cette conférence numéro 20 n'a pas fait bouger les lignes : les différences d'approche qui existaient auparavant, notamment entre les pays industrialisés et les pays les plus pauvres, subsistent. Les financements nécessaires pour s'adapter au changement climatique et pour décarboner les économies restent chiches. D'où les déceptions, affichée par les « vieilles barbes » des négociations climatiques et par les ONG environnementales. A leurs yeux, ce qui est sorti de Lima ne pisse pas loin.

Entre accord climat et stratégie du colibri
Pendant douze jours, les 193 Etats membres de l'ONU, plus l'Union Européenne et deux états rattachés à la Nouvelle Zélande (Cook et Niue, non membres de l'ONU), soit 196 « parties » au total, ont donc négocié l'ébauche d'un traité Kyoto 2.0. Le but de ce nouveau traité sur le climat, qui doit être finalisé lors de la prochaine COP, à Paris en décembre 2015, est d'engager les signataires à réduire leurs émissions de CO2, en cohérence avec un objectif de réchauffement climatique limité à 2°C d'ici 2100 (par rapport aux températures de l'ère « pré-industrielle »). Encore faut-il que les 196 signataires fassent comme l'Union Européenne l'a déjà fait en octobre : annoncer un engagement chiffré de réduction. Si tous les Etats n'ont pas joué le jeu avant le 31 octobre 2015 (ils sont même invités à le faire avant le 31 mars), la COP 21 fera « pshitt » et les autres pays auront devant eux une alternative : renoncer, ou bien faire comme le colibri dans la fable de Pierre Rabhi.

ONU : « le monde est sur les rails pour Paris 2015 »
Le communiqué final de la Convention cadre de l'ONU sur le climat est un très bon révélateur sur ce qu'a produit Lima : peu de choses nouvelles mais quelques avancées et des gros obstacles maintenus. Pour preuve, voici les deux premiers points mis en avant par l'ONU. Je les décrypte.
  • Financement du Fonds vert : « Des engagements ont été annoncés par des pays développés et en développement, avant et pendant la COP », à hauteur de plus de 10 Milliards de dollars.
Décryptage : à Copenhague (COP 15 en 2009) l'engagement était d'apporter 100 milliards de dollars par an d'ici 2020. Il reste six ans pour rassembler les 90 milliards manquants, ce qui fait 15 milliards d'annonces nouvelles en moyenne chaque année. Le chiffre peut paraître énorme, mais il est faible comparé aux subventions que les Etats versent à la consommation d'énergies fossiles (554 milliards de dollars en 2012, selon l'agence internationale de l'énergie).
  • « Les niveaux de transparence et de confiance ont atteint des nouveaux sommets (sic) puisque plusieurs pays industrialisés se sont soumis à l'évaluation de leurs objectifs de réductions d'émissions, dans le cadre d'un nouveau procédé appelé « évaluation multilatérale ».
Décryptage : Le cœur de l'accord sur le climat sera la somme des « contributions nationales volontaires », c'est-à-dire des engagements que chaque pays prend. La France, par exemple, s'est déjà engagée sur deux objectifs : -40% de CO2 en 2030 par rapport à 1990 (l'objectif est européen) et la division par 4 de ses émissions entre 1990 et 2050 (« facteur 4 »). Des objectifs de réduction spécifiques sont fixés pour les industries les plus émettrices et un « reporting » régulier est publié. C'est une transparence qu'on peut qualifier d'assez élevée.
Mais la crainte des négociateurs est que les engagements annoncés pays par pays d'ici décembre 2015 ne soient pas comparables et qu'on ne puisse par en faire la somme. Autre crainte : que par la suite le degré d'atteinte de ces annonces ne soit pas vérifiable. D'où l'accent mis sur les « bonnes pratiques » de transparence sur les objectifs de réduction CO2. C'est tout l'objet du nouveau procédé d'évaluation multilatérale auquel 17 pays se sont plié à Lima. Une sorte de tentative d'émulation / pression par l'exemple...

Dans les autres points à retenir : un prix au carbone
Deux nouveautés sont à souligner dans le texte qui a été adopté : la première est qu'il accorde (presque) la même importance aux mesures d'adaptation au changement climatique qu'aux mesures de réduction des émissions CO2 (« atténuation » ou mitigation en anglais). C'est fondamental pour les populations les plus touchées par le changement climatique.
Deuxième nouveauté : le texte reconnaît dans son préambule l'importance de mettre un prix (un coût) au carbone : « le prix du carbone est une approche clef pour que les réductions d'émissions de gaz à effet de serre soient viables économiquement (« cost effective ») ». Le prix du carbone signifie soit une taxe soit un système de quotas CO2 comme celui du marché européen ETS.

L'agenda 2015
Les équipes de Christina Figueres, la secrétaire générale de la Convention climat de l'ONU, ainsi que celles de Laurent Fabius, qui pilote l'organisation de la conférence COP21 à Paris, ont désormais des jalons clairs : les 195 pays sont invités à présenter leurs objectifs de réduction avant le 31 mars. Et l'ONU devra présenter une somme ou une « agrégation » de tous ces objectifs pour le 1er novembre 2015. D'ici là, les pays les plus exposés auront continué de trinquer et les colibris seront, probablement, un peu plus nombreux à éteindre l'incendie.

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Quelques articles de la COP Lima :

Pas de fumée blanche à Lima dimanche malgré les prolongations / AJEC 21
Dans cet article Claude-Marie Vadrot, un journaliste qui couvre les conférences climat de l'ONU depuis des années, est sans concession. A ses yeux, l'accord est faible et le spectre d'un réchauffement au-delà des 3°C se précise.

A Lima, la COP 20 sauve la face plus que la planète / Libération
Christian Losson décrit les tensions présentes à Lima. Intéressant.

L'accord de Lima sauve les négociations climat, l'Inde est satisfaite / Times of India
Selon le ministre de l'environnement indien, dont le pays est le troisième plus gros émetteur de CO2 , à Lima « toutes les attentes de l'Inde on été satisfaites », en particulier le maintien du principe de « responsabilités communes et différenciées », qui implique que les gros émetteurs historiques (pays de l'OCDE) fassent plus d'effort que les nouveaux ateliers du monde global. L'inde est attendu au tournant sur ses objectifs climat.


Crédit photo : Joisey Showaa / Flick

mardi 21 octobre 2014

Rob Hopkins à la Bellevilloise

C'était un très beau "storytelling" samedi soir, que celui de Rob Hopkins à la Bellevilloise. A l'occasion du 12ème festival du livre et de la presse d'écologie, l'Anglais présentait la traduction de son dernier livre « Ils changent le monde ! 1001 initiatives de transition écologique », qui sort ce mois-ci aux éditions du Seuil. L'occasion d'en savoir un peu plus sur un mouvement, celui des villes en Transition, qui propose de construire localement un autre modèle de vivre ensemble.



Deux mots clef apparaissent sur l'écran : « Inspirer » et « Changement ». Au micro, c'est Rob Hopkins, connu pour son rôle de précurseur et d'homme sandwitch (un sandwich peut être tout à fait être bon et utile, non ?) du mouvement « Villes en transition ». Quant à moi, après avoir écouté il y a quelques semaines au LH Forum du Havre la maire de Totnes, après avoir coyoté les membres de Paris 15ème en Transition lors de plusieurs Repair Café, j'étais très curieux de découvrir l'English. Bien m'en a pris.

Un homme inspiré et drôle
Visage poupin presque halé, petites lunettes, cheveux courts avec une houpette à la Tintin, Rob Hopkins est un bon communiquant qui fait vite sourire l'auditoire, même en parlant de choses sérieuses. Il débute son speech en se moquant d'un dessin du journal anglais Times, lequel montre l'évolution de l'humanité depuis le poisson jusqu'à la voiture, puis il expose les quatre raisons qui justifient selon lui les villes en transition.

Quatre raisons pour une transition à l'anglaise
Eh oui, vous vous en doutiez peut-être, le changement climatique est la première raison. Le climat implique, selon Rob Hopkins, de laisser 80% du carbone fossile sous terre. Il reprend la thèse de nombreux scientifiques sur le sujet.

Deuxième raison, le modèle d'une croissance économique sans limite est à ses yeux aberrant. Rob Hopkins prend l'exemple d'un enfant (il en a 4) qui grandirait sans s'arrêter en taille. C'est absurde ! La métaphore est trop facile, mais elle passe assez bien quand il ajoute que ses enfants pourraient tout à fait continuer de grandir, une fois une certaine taille atteinte, mais en sagesse ou en bonheur. La transition vise à dépasser l'impasse d'un modèle de croissance du PIB à tout crin.

La troisième raison pour la transition est de surmonter la « skewed economy » qui domine. Skewed ? De travers, déséquilibré. Inégalitaire ? Rob n'utilise pas ce dernier mot, ni celui de décroissance.... Mais la transition vise clairement à plus d'équilibre et de partage.

Enfin quatrième argument de la transition des villes : les énergies fossiles se raréfiant, il faut rompre avant qu'il ne soit trop tard l'hyper dépendance avec le pétrole et le gaz naturel.

Ceci étant posé, Rob Hopkins présente à l'auditoire un diapo avec une image de zombie, histoire de souligner que la société actuelle « est très forte pour imaginer ou raconter notre déclin... Mais où sont les histoires qui présentent un autre modèle positif et créatif de société ? Apporter des nouveaux récit est très important ». Et l'homme d'embarquer l'auditoire sur les réalisations concrètes des villes en transition de par le monde. C'est l'objet de son livre : montrer que la transition est un mouvement qui « mobilise localement pour être plus heureux, plus résilient », sur les cinq continents.

Un arrêt de bus potager, une monnaie locale
Le premier exemple extrait du livre est celui de cet arrêt de bus à Londres qui accueille un potager. Plusieurs « transitioners » se sont rendus compte qu'ils fréquentaient le même arrêt de bus et ils ont alors décidé de faire pousser des légumes sur les plate-bandes autour, en libre accès, explique Rob Hopkins. Puis il enchaîne les exemples, de Sao Paulo, où un bidonville transitionne vers moins de violence, à Paris (le Repair café du 15ème) en passant par Bristol, dont le maire est payé en monnaie locale complémentaire. Sans oublier Totnes, la ville pionnière de la transition, et tous les projets centrés sur la (re)vitalisation d'une économie locale et soutenable.

Car l'économie, dans la transition, occupe une place clef. A Totnes, un centre, le "Reconomy Center" , a été créé : il vise à soutenir et incuber des entreprises locales, dans tous les domaines, énergie, alimentation... Le centre organise aussi une fois par an un Forum de l'économie locale, pour mettre en avant les entreprises participantes. Bientôt, une de ces entreprises pourrait être Tresoc, (Totnes Renewable Energy Society). Car c'est bien l'un des axes de la transitions, que de développer une production d'énergie locale. « Nous avons inspiré la nouvelle stratégie nationale sur l'énergie communautaire », précise Rob Hopkins, ce qui démontre d'après lui que la dynamique de la transition est puissante.

Rêver, planifier, réaliser, célébrer !
Au final qu'en retenir ? L'exposé de Rob Hopkins et son dernier livre montrent un foisonnement d'initiatives souvent disparates, pour lesquelles la transition est un porte-drapeau. Elle « est la colle qui donne la cohérence entre ces initiatives ». Pour que le mouvement ne soit pas un épiphénomène local, chaque ville en transition pourrait tout à fait incuber un noyau dur de 20 projets, dont la monnaie complémentaire et la production d'énergie, ajoute l'activiste.

Il conseille aussi aux collectifs des « transitioners », et c'est très important à mon avis, de prendre soin d'eux et d'éviter le burn-out. Comment ? En appliquant la méthode « Dragon Dreaming » de John Croft : pour tout projet, passez par quatre étapes : Rêver (ou imaginer), planifier, faire, célébrer. Oui, célébrer. Viva la Transicion !



Le livre de Rob Hopkins :
Ils changent le monde!
1001 initiatives de transition écologique

Paru le 16/10/2014 au Seuil (collection Anthropocène)
208 pages - 14.00 € TTC

Voir aussi sur les monnaies complémentaires, mon article sur ce blog :
La pêche de Montreuil se dévoile

 

mardi 23 septembre 2014

ECF, pionnier de l'aquaponie

A la culture de légumes hors sol, ECF Farmsystems ajoute le poisson. Le résultat s'appelle l'aquaponie et pourrait constituer une source d'approvisionnement intéressante pour les habitants des villes. Quand les déchets du poisson deviennent les ressources d'un potager urbain, la symbiose est prometteuse... Zoom sur ECF Farmsystems, pionnier du genre.


En travaux. Sur la webcam d'ECF Farmsystems, l'internaute aperçoit la grue jaune qui a creusé l'emplacement de la future serre et du bassin à tilapias. A l'arrière-plan, les bâtiments administratifs sont déjà en place. « Nous sommes en phase pour les délais, la construction de la serre commencera dans une semaine », précise Nicolas Leschke, le patron de cette entreprise d'agriculture urbaine pas comme les autres. La culture des salades, herbes aromatiques et autres tomates commencera elle début décembre. « Nous aurons les premières ventes de légumes deux mois plus tard, après les ajustements du début. Quant au poisson, les premières ventes arriveront en juin 2015 ». L'installation, d'une taille de 1800 m2, sera la plus grande ferme aquaponique urbaine d'Europe. 

 

L'aquaponie ? C'est une version moderne de l'alliance ancestrale entre le végétal et le poisson. Dans les rizières d'Asie, il n'était pas si rare d'élever des poissons. Dans les containers recyclés d'Europe (version « light » du projet ECF) et dans la ferme de Berlin (le projet en taille moyenne), c'est nouveau, c'est tendance, voici les poissons qui alimentent les plantes. De leurs déjections on fait un engrais (en simplifiant). Le procédé, que m'avait décrit Cédric Péchard, un des pionniers français de l'économie bleue (tendance Gunter Pauli), en 2012, a été peaufiné outre Rhin par l'Institut Leibniz d'écologie d'eau douce et de pisciculture IGB. Total, voici une efficacité qui réduirait de 90% l'eau nécessaire globale et de 70% l'espace nécessaire, selon ECF Farmsystems. Encore faut-il des pionniers tous azimuth, municipalités, financeurs, consommateurs, pour que l'évidence s'impose.

Une affaire de goût, ou d'engagement ?
Surtout ne dites pas à Nicolas que ces tomates n'auront pas de goût, ou qu'elle seront de la flotte en rondelles, comme les trop belles tomates en grappes qui s'exhibent en plein hiver à la pelle, chez Auchan ou Super U... « On nous demande aussi si nos tomates ont le goût du poisson. Est-ce que le maïs à un goût de merde ? », rétorque Nicolas, un brin provocateur. Le goût de la tomate dépend avant tout de la variété et de la nutrition de la plante. « Nous avons choisi une variété de tomates qui pousse lentement, avec un rendement à 35 kg par m2, contre 80 kg pour des tomates industrielles ». Le goût est excellent, affirme-t-il. Les sceptiques iront sur place pour vérifier.

Le terrain, pas un obstacle ?
Tout cela est bel et bien, mais trouver un espace en ville à un prix raisonnable pour faire de l'agriculture ne risque-t-il pas de s'apparenter à gravir l'Anapurna en tongs ? A écouter Nicolas, ce n'est pas forcément le cas. L'entreprise ECF loue son terrain à un promoteur privé pour une durée de 20 ans, à un tarif « très bon marché » (que son directeur refuse néanmoins de divulguer). Plutôt que d'installer une ferme en centre ville, il convient de miser sur une zone industrielle en proche périphérie, ou sur le toit d'un immeuble (pour un container), ajoute Nicolas Leschke. Soit.



Franchise, développement, modèle économique
Mais les Français ne semblent pas, actuellement, aussi intéressés par l'aquaculture que nos voisins allemands (1). Peut-être préfèrent-ils les 1000 vaches servies sur un plateau, que le tilapia au romarin. L'équipe ECF travaille sur plusieurs autres projets de fermes en Europe, dont 2 au moins seront en franchise, mais aucun de ces projets n'est prévu en France.

Dans chaque ferme aquaponique, le tilapia cotoiera salades, concombres et tomates, avec un modèle commercial de vente directe, similaire aux AMAP : un panier hebdomadaire sur abonnement pour les légumes. Le tilapia, lui, sera vendu 15 euros le kilos, sur place et via internet, à des particuliers et des restaurateurs. Il faudra 150 abonnements de panier légume et 15 tonnes de poissons vendues par an, pour atteindre l'équilibre financier, d'après Nicolas Leschke. Le tout pour un investissement initial, hors terrain, qui tourne entre 500 et 1200 euros par mètre carré, tous frais inclus : architecte, fondations, bassin, connections électriques et chaleur...

Voilà de quoi réhabiliter le tilapia, poisson star des piscicultures industrielles, parfois mal vu des écologistes. A déguster grillé, avec du romarin et du citron.


(1) Cédric Péchard, promoteur de l'économie bleue de Gunter Pauli, fait partie des quelques Français ayant monté un projet d'Aquaponie dans des containers : U Farm. Projet abandonné pour se consacrer à la culture de champignons 

vendredi 12 septembre 2014

Sharette, vers un covoiturage au quotidien

Après le succès du covoiturage sur des longues distances (BlablaCar), le covoiturage courte distance peut-il se généraliser ? Jusqu'à présent, les dispositifs déployés par les entreprises auprès de leurs salariés ont connu un succès mitigé. Mais Sharette veut changer la donne avec un nouveau calculateur d'itinéraires sur smartphone, dont l'originalité est de mixer le trajet de covoiturage avec les autres transport en commun. Une solution d'avenir pour les trajets mal desservis ?


 
« Nous sommes partis du modèle des transports en commun », explique Grégoire de Pins co-fondateur et responsable opérationnel de la société (statut SAS) Sharette. Créée fin 2013 par deux ingénieurs de moins de trente ans (G. de Pins et Hugues Pouillot), la jeune entreprise veut proposer aux conducteurs d'Ile-de-France de remplir leur voiture au quotidien pour les courts trajets (maison / boulot ou maison / université, typiquement). Rien de nouveau ? Si, car elle affirme être la seule, sur le créneau du covoiturage courte distance, à avoir pensé depuis le début son service en mode « transport en commun » et intermodalité. Kesako ? Le prix d'une course est celui d'un ticket de métro (1,70 euros) et le coeur du service est une application smartphone qui ne se limite pas à la mise en relation du conducteur et du passager : elle complète la proposition de trajet en cas de besoin avec les bus, métros, RER disponibles. Pour cela, le calculateur d'itinéraire Sharette s'appuie bien sûr sur les horaires des transports en commun qui sont fournis en direct, en mode « open data », par la RATP. A l'arrivée, le conducteur se fait de l'argent tout en réduisant son empreinte CO2 individuelle, tandis que les passagers gagnent du temps sur le trajet global.

L'innovation d'usage doit minimiser les contraintes
On l'aura compris, Sharette propose une innovation d'usage. Fort d'un test pilote pendant plusieurs mois sur le campus d'HEC, la start-up construit la version 2 de son application, avec un axe clef : ne pas générer de contraintes pour les utilisateurs. Pas question surtout de modifier l'itinéraire du conducteur. Et pour que l'adaptation du passager soit « agile », l'application offre le trajet le plus rapide en complétant celui de la voiture avec les transports en communs publics. Elle fonctionne avec des e-tickets à 1,70 euros, qui sont ré-utilisables sans frais additionnels pour favoriser le « report modal ».

Sharette se rémunère via une commission, au moment où le conducteur vire sur son compte bancaire les e-tickets qu'il a reçus des passagers.

Un accompagnement aux petits oignons
« C'est complètement incroyable : pour les locaux nous avons presque un problème de luxe ! », s'amuse Grégoire de Pins. Depuis 2013/2014 Sharette était épaulée par deux incubateurs, celui de l'école Centrale Paris et celui de Paris Innovation (Paris Innovateurs Cleantech, dans le 18ème), ce qui lui offre déjà une altenative de locaux. Depuis septembre 2014, elle est aussi l'une des 12 start-up sélectionnées par la pépinière NUMA (ex Silicon Sentier), pour son programme d'accélération. A ce titre, les co-équipiers ont un espace de travail disponible au 3ème étage de Numa. Blague à part, l'accompagnement de Numa / Le Camping est tout à fait complémentaire de celui des incubateurs. Il est en effet beaucoup plus dense, sur un planning resserré de 4 mois (contre 12 mois pour l'incubateur de Centrale Paris).

Une première levée de fonds à 100.000 euros
Sharette n'en est qu'à ses débuts, confie Grégoire de Pins. Mais cette belle idée vient de boucler une première levée de fonds à 100.000 euros auprès de business angels (dont le nom est confidentiel). L'argent servira à élargir le service fin 2014, sur une dizaine de site, campus universitaires et entreprises. L'étape suivante sera le lancement grand public en 2015 sur toute l'Ile-de-France, avec comme territoires prioritaires, les petites et grandes couronnes. Pour cela, les deux associés devront d'abord démontrer le succès de leur offre au delà du campus d'HEC, et ensuite trouver des financements supplémentaires, via, espèrent-ils, une deuxième levée de fonds.



TROIS QUESTIONS A GREGOIRE DE PINS

Est-ce que vous vous reconnaissez dans l'économie du partage et l'écosystème qui va avec (Oui Share festival, etc) ?
On en fait partie définitivement ! Concernant Oui Share, nous sommes en contact depuis le début avec Antonin Léonard, qui nous a mis en relation avec d'autres start-up et qui nous donne des conseils. On revendique les valeurs de cette économie, c'est une communauté extrèmement importante pour nous.

Mais l'économie du partage cela ne fait pas fuir les investisseurs ?
Cela dépend de leur culture ! L'investisseur traditionnel, habitué au modèle B2B (business to business, dans lequel les clients sont des entreprises) sera peut-être un peu sceptique, à la fois sur la possibilité de faire de l'argent en ciblant le grand public et sur cette notion d'économie collaborative, qui a pour certains un côté complètement utopique. D'autres sont plus ouverts et savent que de plus en plus d'économistes voient le collaboratif et les plateformes entre particuliers comme des solutions d'avenir ! Tout le jeu est de les convaincre que c'est une vraie économie qui peut faire gagner de l'argent. Pour cela, nous montrons les success story. BlablaCar avec 150 personnes et zéro moyens physiques, commence à concurrencer la SNCF.

Qu'est ce que vous faites sur le front du climat ?
Le covoiturage a un volet RSE, sociétal et environnemental. Notre objectif est le report modal, qui permet de réduire les émissions de CO2. Chez nos utilisateurs, au vu du pilote de Saclay, il y a une prise de conscience et c'est pourquoi nous avons intégré le calcul de l'empreinte carbone économisée, dans notre application. Avant nous, Bla Bla Car insistait déjà beaucoup sur l'aspect environnemental. 

L'équipe des 4 associés Sharette (G. de Pins à gauche, Hugues Pouillot à droite)

Grégoire de Pins, ingénieur de l'école angevine ESEO, a plongé dans les transports en commun en 2007, quand il travaillé sur l'amélioration des fréquences des transports métro, en vue des Jeux Olympiques de Pékin 2008. Après une création d'entreprise en Amérique du Sud en mode « intrapreneur » (entrepreneur au sein d'une entreprise pré-existante) et un passage en tant que consultant pour Cag Gemini, il s'est associé à Hugues Pouillot, un centralien de 25 ans, qui avait lui fait ses classes en Californie sur les données internet (data analyst). Aujourd'hui, l'entreprise (statut SAS) regroupe 4 personnes.

lundi 8 septembre 2014

Tout sur la COP20 de Lima

12.000 visiteurs attendus, un coût de 90 millions de dollars pour l'état péruvien. Du 1er au 12 décembre 2014 se tiendra au Pérou la conférence de l'ONU sur le climat « COP20 ». Voici les éléments clef du dispositif.


photo : site de la COP 20 à Lima

Organisateurs : la convention cadre de l'ONU sur le climat (UNFCCC), présidée par Christiana Figueres + l'Etat péruvien

Président de la COP20 : Manuel Pulgar Vidal, ministre de l'environnement du Pérou

Objectifs principaux : (1) accoucher d'un pré-accord sur un protocole international de lutte contre le changement climatique qui serve de base à l'accord devant être bouclé à Paris pour la COP21.
(2) avancer sur le financement de la lutte contre le (et de l'adaptation au) changement climatique.

Participants : les 195 pays signataires de la convention de l'ONU, plus les entreprises et la société civile (associations et ONG).

Le Lieu : quartier général (QG) de l'armée du Pérou, Lima
Le QG de l'armée est utilisé depuis plusieurs années pour accueillir des salons internationaux.

Coûts et bénéfices : l'état péruvien déclare investir 90 millions de dollars, dont 44 millions pour préparer le lieu. Il espère en retirer 130 millions, dont 40 à 45 millions de bénéfices immédiats (hotels, catering...) plus 10 millions de gains touristiques à court terme (source : le site internet de la COP20 )

A noter que les 44 millions de dollars iront dans l'escarcelle de l'organisateur d'évènements français  GL Events (4000 employés, 900 Millions d'euros de CA).

Le village des ONG : « Voice for the climate » // Jockey Club de Lima
Voice for the climate est le dispositif prévu pour la participation de la société civile et pour sensibiliser l'opinion. Il sera hébergé au Jockey club de Lima et ouvert au public.

Le 7 septembre, le site officiel de la COP20 était très maigre en contenus sur la société civile, avec un seul contenu apporté par la société civile : les propositions du « forum international des femmes indigènes ».

Pour suivre la COP 20 :

http://www.cop20.pe site officiel






mercredi 3 septembre 2014

Désinvestir le fossile : une question de santé publique ?



C'est une véritable bombe que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'ONU (par la voix de Christiana Figueres, qui pilote la convention de l'ONU sur le Climat) ont posté, le 29 août. Une bombe pour les entreprises pétrolières et de gaz/charbon. « Les experts médicaux appellent le secteur médical à retirer ses investissements des entreprises d'énergie fossile et à investir à la place sur les énergies renouvelables. C'est une étape pour mieux protéger contre les effet du changement climatique sur la santé » (communiqué de l'ONU ici) Cette déclaration fait suite au premier sommet Climat / santé organisé par l'OMS, du 27 au 29 août 2014 à Genève, et qui avait rassemblé 300 spécialistes.

Désinvestir des entreprises d'énergie fossiles : une question de santé publique ?

Jusqu'à présent, le lien entre santé et changement climatique a été peu débattu sur la place publique et il a été relativement peu « brandi » chez les investisseurs responsables (ISR), qui se sont attachés plutôt au lien entre le changement climatique et les risques opérationnels pour les entreprises (ex : une inondation qui paralyse une usine), ou encore au risque de « réputation » (= d'image). La prise de position de l'OMS et de la directrice de l'UNFCCC Christiana Figueres pourrait changer fortement cet état de fait.

Tout a commencé par une clarification de l'OMS sur l'impact désastreux du changement climatique sur la santé : 250.000 décès supplémentaires par an entre 2030 et 2050. « Les preuves sont accablantes: le changement climatique met en danger la santé humaine », résumait la directrice de l'OMS Margaret Chan, le 27 août. Pour plus de détails sur ces liens, l'OMS a mis en place un aide mémoire climat sur son site.

La directrice de l'OMS a poursuivi sur un discours connu : « Des solutions existent et nous devons agir avec détermination pour modifier cette trajectoire. ». 

Mais parmi les solutions, on ne s'attendait pas à ce que le désinvestissement soit mis en haut de la pile. C'est chose faite, puisqu'il vient d'être publiquement recommandé par Christiana Figueres. Celle-ci n'est pas n'importe qui puisqu'elle est la « patronne » des équipes de l'ONU chargées d'organiser les conférences climat COP 20 et COP 21 (précisément, de la convention cadre de l'ONU sur le climat). Elle participait à la conférence de l'OMS.

"Le désinvestissement est un moyen prometteur de lutter contre le changement climatique et d'augmenter la santé humaine" (Christiana Figueres citée dans le communiqué de presse de l'ONU).

A noter que l'OMS n'a pas pris officiellement position sur un tel boycott (exclusion, diraient les investisseurs responsables).

L'intérêt principal de désinvestir dans le pétrole, le charbon et le gaz ? Il est double, aux yeux de ses partisans. D'abord rééquilibrer les investissements entre les énergies fossiles et renouvelables : aujourd'hui pour un euro dans les enr, il y en a 4 dans les énergies fossiles (selon le WWF). Le deuxième intérêt est scientifique : cela permettrait de conserver sous terre, plutôt que de les brûler dans l'atmosphère, toute ou partie des réserves d'hydrocarbures « nouvelles » : il s'agit de ces gisements non conventionnels, comme le gaz dans l'océan arctique ou au large du Brésil. Non rentables il y a 10 ans, ils sont sur le point d'être exploitées, du fait de l'appétit mondial pour les hydrocarbures. Ces réserves sont depuis peu appelées "unburnable", non brûlables.

Cette prise de position est une très mauvaise nouvelle pour les géants du pétrole, dont le Français Total. Nul doute qu'ils vont affuter une stratégie de communication en riposte. En attendant, les activistes de 350.org, qui sous la houlette de Bill McKibben, appellent les universités américaines et mondiales à désinvestir leurs fonds des « big oil », peuvent se frotter les mains. Le débat est officiellement devenu un sujet de santé publique.

Signe que le sujet  n'est pas en prendre à la légère, l'agence Bloomberg New Energy Finance vient de publier une note sur le désinvestissement dans les énergies fossiles (white paper du 25 août 2014).

Mots clé : investissement socialement responsable, COP21, climat, OMS, Figueres.

mercredi 23 juillet 2014

Changement climatique : 93% des Chinois y croient

Les Européens n'ont pas de leçons à donner à la population chinoise sur le climat. Conclusion possible de l'enquête mondiale Global Trends d'Ipsos MORI. Son volet environnemental montre les décalages de perception sur le climat, entre USA, Europe et Chine. Il tort le cou à certains préjugés. 93% des Chinois croient à l'origine humaine du changement climatique et 92% déclarent faire autant d'efforts que possible sur le recyclage.



Etes-vous d'accord avec cette affirmation ? « J'essaie de recycler autant que je le peux ». Sur les 20 pays interrogés par Ipsos MORI, c'est la Chine qui répond le plus « oui ». 92%, précisément. La Chine est en tête devant le Canada et la Belgique, la France se situant en 8ème position, et la Russie en queue de peloton. C'est un des enseignements de cette étude réalisée auprès de 16.000 personnes par l'institut de sondage. Ce n'est pas le seul.

La France se distingue, avec l'Espagne, pour être un des pays où la croyance que le gouvernement utilise l'environnement pour augmenter les taxes est la plus élevée. Effet d'une communication politique inadaptée ? D'un traitement médiatique biaisé ? Ajouter les augmentations d'impôt réelles du quinquennat Hollande à ces deux éléments de réponse et vous aurez, à mon avis, l'explication.

Les Etat-Unis toujours champions des climato-sceptiques
Sans surprise, les Etats-Unis restent le pays le plus climato-sceptique : seuls 54% des sondés aux USA pensent que le changement climatique est causé par l'activité humaine. Les deux autres pays les plus climato-sceptiques étant l'Australie et le Royaume-Uni. D'après le Climate Desk, trois raisons à ce tropisme anglo-saxon : la prévalence de l'idéologie néo-libérale, le poids de l'empire médiatique de Rupert Murdoch et la présence dans ces pays de think tanks climato-sceptiques...

A l'inverse, 93% des Chinois pensent que le changement climatique est d'origine humaine. Hypothèse simple de ce consensus : la Chine est le pays où l'activité humaine (création d'usines, pénétration des automobiles et autres objets émetteurs de CO2) a le plus changé ces dernières 20 années, alors même que l'environnement (désertification...) se dégradait le plus...

En France, 80% des sondés croient à l'origine humaine du changement climatique.

La population chinoise est aussi la plus critique vis-à-vis des entreprises. 93% des sondés estiment que les entreprises ne s'engagent pas assez contre le changement climatique. En France, ils sont 78% et aux USA, 65%.

Espérons que la démocratie s'installe en Chine rapidement.

Source : http://www.ipsosglobaltrends.com/environment.html


mardi 15 juillet 2014

Conférences climat COP20 et COP21 : préparatifs

J'ai décidé de m'intéresser au projet d'accord mondial sur le climat, qui pourrait être signé lors de la conférence Paris Climat 2015. Après avoir ouvert un mini-site dédié à cette conférence COP 21, sur scoop it, voici un premier article sur la conférence COP 20 qui se tiendra au Pérou fin 2014... Alors que le Pérou entend faciliter un pré-accord, le pays vient de voter un plan de relance de l'économie qui rabote plusieurs exigences environnementales.

Lézard blanc mort, au bord du rio Madre de Dios. 
Photo Geoff Galice ccommons.




Conférence climat : Le Pérou schizophrène ?

Les conférences onusiennes sur le climat reprennent, avec la COP 20 (=conférence des parties) qui se tiendra en fin d'année au Pérou et la COP 21 qui aura lieu en décembre 2015 à Paris. L'objectif est de signer un accord international contraignant pour limiter les émissions de CO2, accord qui entrerait en vigueur à partir de 2020. C'est l'ambition affichée de la diplomatie française et Laurent Fabius : faciliter un tel accord, 6 ans après l'échec de la conférence climat à Copenhague. De même au Pérou, le président Humala espère faciliter un pré-accord lors de la COP 20 de décembre 2014.

Pour les ONG françaises, la France doit mettre en cohérence cette ambition avec sa politique intérieure sur l'énergie et sur le climat : notamment en ayant voté avant 2015, la fameuse loi sur la transition énergétique. Mais aussi, en décidant de mesures inédites, sur le front du climat et de l'économie. Sans cela, le gouvernement ne serait pas légitime pour demander un accord climat mondial, et donc des efforts aux pays du Sud.

Au Pérou, même ambiance : le gouvernement espère sortir de la COP20 auréolé d'un « pré-accord » et il veut aussi profiter de la COP pour apparaître aux yeux du monde, et des investisseurs, comme un pays vertueux sur le front du climat. Là, il y a un hic.

Le 3 juillet, le congrès péruvien a voté un paquet de mesures pour la relance de l'économie, le « paquete de medidas para la reactivación de la economía », qui nivèle par le bas plusieurs dispositions de protection de l'environnement.

L'objectif affiché du plan est de relancer l'investissement étranger, pour renouer avec une croissance à la chinoise : le PIB péruvien a augmenté de 5,8% en 2013 (excusez du peu), contre 8,82% en 2010.

Pays à très forte intensité minière, le Pérou s'apprête à réduire les amendes pour atteintes à l'environnement que pourraient payer les entreprises : les montants seront plafonnées à 50% des montants actuels.

Deuxième mesure contestée par les organisations environnementales : le délai d'instruction des études d'impact environnemental par les services de l'état. Ces études, qui sont un préalable à l'autorisation de tout projet industriel, sont cruciales. Le gouvernement voulait baisser ce délai à un mois, ce qui semble bien peu. Après passage au congrès, cela sera finalement 45 jours. Est-ce suffisant ? Quiconque a déjà eu entre les mains un dossier d'impact environnemental en doutera fortement.

D'après l' Environmental InvestigationAgency (EIA), basée à Washington, ces mesures interviennent alors que le Pérou s'apprête à lancer des appels d'offre pour des concessions de gaz et de pétrole en Amazonie. Des projets forestiers aussi seraient dans les cartons. Pourvu que cela ne soit pas du palmier à huile...



Mes articles liés sur l'Amérique Latine :



jeudi 26 juin 2014

Impact social : table ronde Atelier Ile-de-France

Grand plaisir d'animer cette table ronde sur l'impact social. Destiné aux entrepreneurs qui voient l'économie autrement.

Comment et pourquoi évaluer l'impact social de mon entreprise ?

Dans le cadre du cycle autour du Guide de l'entrepreneur social, l'Atelier et la maison d'édition Rue de l'échiquier vous proposent une table ronde sur la mesure d'impact social. Comment adopter un langage de la preuve pour répondre aux attentes des collectivités, des banques ou encore des investisseurs privés ? Christelle Van Ham, experte de l'évaluation et de la valorisation de l'impact social, Emmanuel Gagnerot, Directeur d'Ile-de-France Active et Anne Charpy, fondatrice de l'association VoisinMalin partageront avec vous conseils et expériences.



De 18h30 à 20h. Inscription obligatoire.

Aujourd'hui, l'économie sociale et solidaire vise à changer d'échelle. Pour ce faire elle doit être innovante et à la pointe en termes de transparence : cela passe par la gouvernance, par une gestion saine et par une démonstration claire de l'impact social des projets, au-delà des déclarations de principe. La mesure d'impact social peut devenir un outil central pour redynamiser la gouvernance, améliorer son efficacité et son impact sur le territoire. Un levier également pour consolider son modèle économique dans un contexte de tarissement de fonds publics et de recherche d'investissements socialement « rentables » par des financeurs privés.

Lors de cette table ronde, les enjeux de la mesure de l'impact social seront mis en débat. Différentes méthodes d'évaluation seront également présentées et Anne Charpy, entrepreneure sociale nous fera un retour d'expérience sur les outils d'évaluation qu'elle a pu mettre en place dans son entreprise sociale.

Cette rencontre sera animée par Thibault Lescuyer, co-auteur du Guide l'entrepreneur social et ouverte par Jean-Marc Brûlé, Président de l'Atelier.

A propos des intervenants

Christelle Van Ham est diplômée d'HEC. Elle a passé 5 ans chez Ashoka aux Etats-Unis et en France. Aujourd'hui consultante indépendante, elle accompagne des entreprises, des fondations et des associations dans l'évaluation et la valorisation de leur impact sur la société.

Emmanuel Gagnerot est directeur d'Ile-de-France Active. Coordination francilienne de France Active, Ile-de-France Active est un financeur solidaire au service d'une économie durable, créatrice d'emploi et de cohésion sociale.

Anne Charpy est fondatrice de VoisinMalin. Cette entreprise sociale part du constat que les habitants des quartiers populaires ont des compétences utiles qui ne sont pas ou peu valorisées. Elle se propose de repérer ces compétences et de leur donner une valeur économique à travers des prestations rémunérées, et de mettre en réseau ces habitants « ressources » afin de démultiplier leurs capacités d'initiative au bénéfice de leur quartier.

Le guide de l'entrepreneur social est co-écrit par Philippe Chibani-Jacquot et Thibault Lescuyer, avec une contribution d'Eric Larpin. Publié en novembre 2013 par Rue de l'Echiquier.

 

mercredi 18 juin 2014

20.000 Métaux sous les mers

L'exploitation des gisements de métaux sous les océans se précise. Lire mon article pour Novethic.



Mer de Bismarck, dans l'océan Pacifique. L’entreprise canadienne Nautilus Minerals s’apprête à exploiter le gisement de cuivre, d'or et d’argent situé à 50 km des côtes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce serait une première mondiale. Mais des spécialistes de l’environnement s’inquiètent, notamment sur les risques pour la biodiversité. En cas de succès, cette exploitation ouvrirait la voie à d’autres dans le monde.

La France participe au débat : le 19 juin prochain, l’Ifremer et le CNRS publieront leurs conclusions sur "les impacts environnementaux de l’exploitation des ressources minérales marines profondes ".

Article pour Novethic :
http://www.novethic.fr/empreinte-terre/pollution/isr-rse/nautilus-minerals-un-pionnier-qui-sent-le-soufre-142537.html

Présentation de l'expertise française sur l'impact environnemental d'une extraction en eaux profondes:
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Expertise-scientifique-collective,38968.html

lundi 2 juin 2014

Les associations anglaises sont contre le "Workfare"

 Depuis avril 2014, les chômeurs anglais de longue durée sont obligés de travailler gratuitement pour une association. Sinon ils perdent leurs indemnités chômage (Assedic). En plus d'être inefficace, ce programme fragiliserait le bénévolat, estiment les associations anglaises. De l'Armée du Salut à Oxfam, 350 d'entre elles ont décidé de boycotter l'initiative du gouvernement Cameron.

Job Centre Plus : les Pôle emploi à l'anglaise (photo : BBC)


Gardons le volontariat volontaire ! « Keep Volunteering voluntary !». C'est par ce mot d'ordre que le secteur associatif anglais entend lutter contre le dernier avatar du « workfare » anglo-saxon. Le workfare ? Le mot désigne les politiques publiques où « les personnes sans emploi ou les personnes handicapées sont obligées de travailler pour continuer de toucher leurs allocations ». Depuis le 28 avril 2014, les chômeurs anglais de longue durée sont directement concernés par une telle politique : c'est le programme de travail communautaire, « Community Work Placement » ou CWP pour les intimes. Ce programme prévoit de les faire travailler gratuitement dans une association. Seul hic pour le gouvernement, une partie du monde associatif a décidé de le boycotter.

Aide au travail : 3 options
En fait, le nouveau CWP est l'une des trois options laissées à toute personne inscrite dans un « jobcenter » (pôle emploi ou équivalent confié au privé) depuis 2 ans : il/elle a désormais le choix entre se présenter tous les jours à son agence, débuter une formation, ou sinon : travailler « volontairement » 6 mois, 30 heures par semaine, pour une association. S'il ne respecte pas une de ces trois options, la personne verra ses allocations chômage suspendues : 4 semaines la première fois, puis 13 semaines.

Le CWP s'inscrit dans un programme plus large, intitulé Aide au travail (« Help to work »). Sur 200.000 chômeurs de longue durée, l'objectif du gouvernement est d'en placer 60.000 auprès d'associations partenaires.

La mesure a été promue par le sémillant ministre des finances George Osborne, mais elle a tout de suite été critiquée par le conseil national des associations de volontariats, la National Council for Voluntary Organisations (NCVO). Le NCVO qui regroupe 10.000 associations anglaises.

L'appel au boycott du conseil des associations NCVO
Dès le 28 avril, la NCVO lançait un appel au boycott. Avec succès puisque cet appel regroupe toujours plus d'associations : 350, dont des très grosses, avaient signé l'appel « Keep volunteering voluntary », au 2 juin 2014. Parmi celles-ci figurent Oxfam, l'Armée du salut, ou encore Christian Aid.

Pour la ministre du travail, Esther McVey, il n'est absolument pas question de punir des chômeurs.
Sans aller jusqu'à cette interprétation, le monde associatif formule plusieurs objections majeures contre le « Community Work Placement ».

Premièrement, une expérience pilote de ce schéma aurait montré des effets positifs « extrèmement modestes ». D'après Jonathan Portes, du National Institute of Economic and Social Research, interviewé par la BBC, le schéma ne permettrait absolument pas aux demandeurs d'emplois d'obtenir un travail par la suite.

Volontariat forcé : un oxymore selon Oxfam
Surtout, ce schéma nuirait au maintien du bénévolat. « Ces schémas impliquent le volontariat forcé, ce qui non seulement est un oxymore, mais cela porte atteinte à l'opinion des personnes sur la vertu énorme du travail bénévole », estime Oxfam.

La collaboration des associations au programme implique aussi un gros risque de réputation pour celles-ci, dans la mesure où elles deviendraient complices de la suspension des allocations chômage : si l'association partenaire du job center déclare l'absence du chômeur au poste de travail prévu, il perdra ses « allocs ». Ce serait, estime le NCVO, contraire aux valeurs de la "charity".

Troisième objection, et non des moindres : le programme, en augmentant la fréquence des sanctions et en coupant le versement des indemnités, fera grossir les rangs des utilisateurs de la soupe populaire. Et ce alors que la faim en Angleterre est déjà une «crise nationale », selon une récente prise de position du  clergé anglais.

Malgré cette résistance des 350 associations, le gouvernement tient bon. D'après un de ses porte-parole, plusieurs associations ont tout de même choisi de coopérer avec le système. Le « placement » des chômeurs longue durée pourra donc commencer bientôt.

Et c'est ainsi qu'Allah est grand.


dimanche 9 mars 2014

L'Institut Godin décrypte l'innovation sociale

C'est une contribution utile aux débats actuels sur ce qu'est l'innovation sociale, qui dessine une perspective, voir une hiérarchie, ancrée dans la tradition de l'économie sociale à la française, une tradition qui préfère le collectif à l'individuel... et qui se méfie parfois un peu (trop?) de la figure de l'entrepreneur social.


« L'innovation sociale, principes et fondements d'un concept », publié fin 2013 aux éditions L'Harmattan, présente la synthèse d'une recherche collective lancée en 2011 par l'Institut Godin d'Amiens. Les auteurs sont Nicolas Chochoy, directeur de l'Institut Godin, ainsi qu'Emmanuelle Besançon et Thibault Guyon, tous deux doctorants en économie au CRIISEA d'Amiens.

Créé en Picardie en 2007, cet Institut atypique se consacre à la recherche appliquée dans l'économie sociale et solidaire. Il tire son nom de l'industriel social Jean-Baptiste Godin, créateur d'une fabrique de poêles en fonte en 1848 et d'un fameux « familistère » inspiré du fouriérisme.

Le livre est le fruit de la deuxième recherche collective menée par l'Institut, après celle sur les pratiques solidaires, qui avait débouché sur un tableau de bord des pratiques solidaires.

Pour ce deuxième travail, la feuille de route était d' « appréhender, caractériser et définir » l'innovation sociale. A l'arrivée, il en découle, via cet ouvrage, à la fois une synthèse des théories récentes sur l'innovation sociale, telles qu'elles ont été développées par des chercheurs en sciences sociales (et pas seulement celles de l'inévitable EMES) et une théorie, presque un idéal-type d'innovation sociale : l'innovation institutionnaliste.

Bref c'est une lecture stimulante, pour tout acteur ou chercheur qui s'intéresse aux innovations sociales. Une lecture à compléter, certainement, par un nouvel ouvrage qui sortira prochainement (le 15 avril) : « L'innovation sociale - Les marches d'une construction théorique et pratique » - Benoît Lévesque, Juan-Luis Klein, Jean-Marc Fontan, Collectif, Presses de l'Université du Québec.


Conclusions à retenir de l'idéal-type "innovation sociale institutionnalisée"
La nouveauté de l'innovation sociale résiderait « dans la mise en oeuvre de pratiques en rupture avec les pratiques habituelles dans un milieu donné (le changement institutionnel). La dimension sociale prend forme dans un processus collectif marqué par des pratiques solidaires constitutives d'un ancrage territorial fort et de façon concomittante d'une gouvernance élargie et participative (empowerment), se traduisant par un modèle économique pluriel ». Le produit ou service produit se distingue par son accessibilité (traduction : tarifs indexés ou adaptés sur les revenus, disponibilité au plus près des usagers...). Les résultats sont « porteurs d'impacts directs et de changements institutionnels » au niveau des individus, des organisations, du territoire et des collectivités.

La suite de mon billet de blog est une fiche de lecture partielle de l'ouvrage...

Après avoir distingué, dans le premier chapitre, les traits distinctifs de l'innovation technologique et de l'innovation sociale (voir la note en fin d'article), les auteurs dessinent, en s'appuyant sur des travaux de recherche pré-existants en France et au Québec (l'EMES, CRISES, l'IFRESI, Nadine Richez-Battesti, Jean Hillier...) quatre approches de l'innovation sociale : entrepreneuriat social de type Ashoka, innovation sociale portée par les pouvoirs publics pour moderniser les services publics, approche « latine » conceptualisée par le réseau EMES et approche institutionnaliste, qui poursuit et complète celle de l'EMES.

En réalité, ces quatre approches ne sont pas si étanches l'une de l'autre que le livre pourrait le faire accroire et nombre d'innovations sociales pourraient sans doute entrer dans l'une ou l'autre simultanément. A cet égard, il est assez regrettable que le livre manque d'exemples pour illustrer les différentes approches d'innovation sociale qui sont présentées. C'est en fait la limite principale du livre : il est plus une méta-étude qu'une étude, sa thèse n'étant illustrée que par deux exemples d'innovations sociales étudiés par l'Institut Godin (sur l'approche institutionnaliste).

Il n'empêche, le gros intérêt du livre est, à mes yeux, de mettre en avant des différences d'approche, voir une hiérarchie à travers la mise en avant de l'approche institutionnaliste de l'innovation sociale. Celle-ci se distingue par la place accordée à des « pratiques solidaires » et par une volonté de changement institutionnel. Elle constitue, me semble-t-il, un horizon ou, pourrait-on dire, une boussole (parmi d'autres?) utile à tout faiseur d'innovation sociale.

Le livre propose aussi une méthodologie d'évaluation de l'innovation sociale, destinée aux acteurs de l'ESS. Celle-ci englobe l'analyse des pratiques de l'organisation, l'identification des impacts directs et l'analyse des changements. Les deux exemples pris sont la recyclerie du Pays de Bray et le projet de santé communautaire Initi'elles : j'invite le lecteur qui serait professionnel ou féru d'impact et d'évaluation sociale à se procurer le livre pour en savoir plus sur le sujet.

Approche une : l'entrepreneuriat social
Cette approche, qui est celle du réseau Ashoka, a deux traits forts : elle est centrée sur la figure de l'entrepreneur (homme d'action, leader, qui prend des risques....) et elle s'appuie sur des ressources marchandes, une activité lucrative. Rappelons que la figure centrale d'Ashoka est effectivement celle du « changemaker » cher au fondateur du réseau, Bill Drayton.

Approche deux : le « new public management »
Elle envoie à la volonté d'acteurs publics de moderniser des politiques publiques, dans un objectif de baisse des coûts et des budgets publics. C'est en quelque sorte l'approche du projet de Big society porté par David Cameron au Royaume-Uni (cet exemple n'est pas cité dans le livre). Elle va de pair avec la diffusion des méthodes de gestion privées et la quête de performance quantitative : le « new public management ». Au risque de mettre à mal les dimensions solidaires et le pouvoir d'émancipation, ce que Jean-Louis Laville appelle la dimension politique, de l'économie sociale.

Trois : l'approche entrepreneuriale latine
Cette approche « latine » est celle qui a été développée par le réseau EMES. Elle « souligne les dimensions non lucrative, collective et démocratique des entreprises sociales », nous dit Emmanuelle Besançon. L'approche s'appuie sur les traditions européennes du mouvement coopératif, voir associationniste (pour la France), plus que sur celle de l'entrepreneur ango-saxon. Elle élude la question du leadership et le fait que dans la plupart des coopératives, il y a souvent un, ou un noyau, de « meneurs » (et un visionnaire).

Quatre : L'approche institutionnaliste : la solidarité au coeur
Cette approche « englobe et dépasse » l'approche de l'EMES en concevant l'innovation sociale comme un « système territorialisé et levier de transformation sociale » (page 49). C'est donc ce que j'appelle l'idéal-type promu par les auteurs du livre.

Mais qu'est ce qui fait l'identité propre de cette approche ? Il y a donc d'abord l'idée qu'elle place les pratiques solidaires au coeur de la démarche.

C'est, écrivent les auteurs, une hypothèse structurante de leur travail : « les pratiques porteuses d'innovation sociale peuvent être qualifiées de pratiques solidaires dès lors qu'elles font intervenir des principes relevant de la solidarité tels que la justice, la démocratie, la réciprocité, la proximité, etc ».

Ces pratiques ne sont pas cantonnées par un statut et peuvent être portées par tout type d'organisation, précisent les auteurs, « bien que l'ESS apparaisse comme un vivier essentiel ».

Il y a ensuite la volonté de transformation sociale. Il s'agit de l'«éventuelle évolution des pratiques et représentations dont ils peuvent être à l'origine auprès des autres acteurs de l'économie ». Mais aussi, de la transformation des politiques publiques et sociales.

Parmi les autres idées clef, il y a enfin, me semble-t-il, celle-ci : l'innovation sociale tient autant au processus de son émergence et de son déploiement (ou diffusion) qu'à ses résultats (produits, services créés) et qu'à ses impacts.

« En matière d'innovation sociale, le processus est tout aussi important que le résultat » (P. 113)

Processus ? A ce niveau, l'innovation sociale est avant un processus territorialisé qui fait interagir et coopérer des acteurs localement. Il s'agit d'une part d'une mise en réseau d'acteurs, voir de groupes sociaux hétérogènes, et d'autre part d'un participation dans une logique d' « empowerment », autrement dit la prise d'autonomie et la participation des usagers.

Cette conception s'appuie sur les travaux du géographe Guy Di Méo (2006), et permet de distinguer dans l'innovation sociale non seulement une production de cohésion sociale, mais la production même du territoire local dans une perspective patrimoniale : un patrimoine socio-culturel commun, construit ensemble.

C'est peut-être là que réside le défi le plus considérable de l'innovation sociale : faire coopérer des groupes sociaux pour arriver à une vision partagée d'un avenir à construire ensemble, sur des territoires donnés.


Pour en savoir plus :

Institut Godin
03 22 72 49 53


Note 1 : L'innovation sociale serait surtout issue « d'une pression sociale et politique, ou encore environnementale » alors que la première (technologique) est issue de la pression du marché et de la concurrence. D'autre part, elle serait davantage immatérielle, davantage axée sur des nouvelles pratiques.