lundi 13 juin 2016

Solaire au Chili : tombés dans le panneau

L'information a été largement relayée sur les réseaux sociaux et divers sites d'information : Au Chili, il y aurait tellement de panneaux solaires installés que l'électricité y serait devenue gratuite une partie de l'année. Hélas, l'information est fausse, sauf pour quelques villages (et encore ?). Au total, seule 5% de la capacité électrique installée et raccordée aux réseaux électriques du pays est solaire (chiffres du gouvernement, mai 2016).


Il y a quelques jours, je suis tombé par hasard sur un titre choc : Chili : l'énergie solaire est si abondante qu'elle est gratuite ! Information publiée par le nouveau media Positivr. Cela m'a fortement intrigué car je m'étais intéressé aux énergies renouvelables pour un article écrit pour Novethic, en 2013 ("Hidroaysen, casse-tête énergétique au Chili"). Et j'en gardais l'idée que le Chili est à la traîne en matière d'énergie solaire, malgré un potentiel fort, qui n'a pas échappé à tous les voyageurs passés dans le désert de l'Atacama. Trois ans plus tard, cela aurait donc changé du tout au tout ? Pas tout à fait, en réalité : d'après les statistiques du gouvernement, sur une capacité raccordée de 21056 MW, seul un petit 1112,8 MW est solaire. Soit 5%. Certes, le nouveau gouvernement de Michelle Bachelet met bien les bouchées doubles sur les énergies renouvelables, mais c'est le cas seulement depuis 2014/2015 et aujourd'hui plus de 70% de l'électricité du pays est produite avec du pétrole, du gaz et du charbon. Et elle est payante pour 99% des Chiliens.

Bloomberg, un article au titre trompeur
Comment expliquer la diffusion de cette fausse information ? Tout est parti d'un article de Bloomberg au titre trompeur et d'un graphique mal interprété. La suite est assez symptomatique de la tendance croissante, dans les médias, à relayer une information sans la vérifier à la source. Avec l'accélération de l'infobésité et le manque de moyens dont souffrent les rédactions, vérifier sa source n'est plus systématique. 

Dans le cas qui nous intéresse, tout est parti d'un article de Bloomberg, intitulé :  « Chile has so much solar energy it's giving it away for free ». Traduction : "Le Chili a tellement d'énergie solaire qu'il le donne gratuitement". L'affirmation se base sur l'interview du patron d'un producteur l'électricité (Acciona), Rafael Mateo, qui explique qu'il y a actuellement une ruée vers l'or solaire au Chili et que les dernières centrales solaires qui ont été mises en opération seraient en surcapacité locale. 

Surcapacité, mais hyperlocale
Et les prix gratuits, dans tout ça ? L'interviewé ne dit rien à ce sujet mais le journaliste affirme que « les prix spot ont atteint zéro dans plusieurs endroits du pays, pendant 113 jours jusqu'en avril ». Pour illustrer, il publie le graphique des prix spot où l'on voit le prix effectivement descendre à zéro. Mais où ça ? Et quels prix ? Le graphique indique qu'il s'agit de la sous-station Diego de Almagro, sans préciser quelle est sa puissance raccordée et où elle se situe.



La suite du paper explique que ce prix "spot" bas est en fait lié au non raccordement des centrales solaires du Nord du Chili aux réseaux du centre et du sud. Il s'agit donc d'une sorte de surcapacité hyperlocale, dans un pays où les lignes à haute tension du Nord ne sont pas connectées à celles du Sud.

Quels sont ces "plusieurs endroits" où l'électricité "spot" est gratuite ? Dans quelle mesure un prix spot égal à zéro se traduit-il par un prix zéro pour les clients finaux ? Et quelle est la puissance en MW concernée ? J'ai cherché l'information dans la presse chilienne (via le web) et je n'ai pas trouvé la réponse. (juste un article de 2014 mentionne un village autosuffisant en électricité, grâce à des panneaux solaires)... Par contre, les statistiques du gouvernement (la CNE) sont formels ; ils indiquent que la sous-station de Diego de Almagro est raccordée à une centrale solaire d'une capacité de...28 MW. A titre de comparaison, la plus grosse centrale solaire en France affiche une puissance de 300 MW.

En résumé, le solaire au Chili pèse peu, 5% de la capacité d'électricité du pays et le boom récent du solaire n'a pas entraîné la gratuité des prix pour grand monde. Voir, pour personne ? (voir ma note en fin d'article).


Article dans l'Express Live (rien à voir avec le magazine l'Express) :



Dimanche 11 juin sur France Inter, quelle ne fut pas ma surprise, d'entendre François Siegel, le directeur du magazine We Demain, reprendre lui aussi l'exemple du Chili, pays tellement avancé dans l'énergie solaire que l'électricité y est gratuite ! Dans l'émission La Politique autrement de Stéphane Paoli.



Quelle leçon tirer de cette histoire ? Vérifier les sources, plus que jamais. Et ne pas prendre Positivr et l'Express Live pour des médias fiables.

Pour ceux que cela intéresse, voici les chiffres des capacités de production électrique au Chili raccordées aux réseaux d'électricité, d'après la commission chilienne de l''énergie (Total et pour les deux principaux réseaux du pays SING et SIC). 


AJOUT DU 14 JUIN.
J'ai contacté Acciona, le producteur d'électricité renouvelable qui est interviewé par Bloomberg, pour savoir s'ils offrent de l'électricité gratuitement : la réponse est non. Est-ce qu'un prix "spot" égal à zéro (comme cela a été le cas à la sous-station d'Almagro) implique un prix zéro pour le client ? Pas forcément, car il y a des taxes et des frais de péage qui s'ajoutent, d'après Acciona.

Extrait de mon échange avec Acciona:

Hola Thibault,

Gracias por ponerte en contacto con ACCIONA.

El artículo de Bloomberg ha dado margen a cierta confusión, al no distinguir los operadores de energías renovables que operan con contratos de suministro de largo plazo (Power Purchase Agreements, en inglés), que es nuestro caso, y los que desarrollan proyectos de energía para venderla en el mercado spot.

ACCIONA desarrolla proyectos únicamente con contratos de suministro de largo plazo, como es el caso de la planta fotovoltaica de El Romero, actualmente en construcción, que suministrará los centros de datos de Google en el país.
(...)
Nosotros no hemos sido afectados por los bajos precios del poolni hemos vendido energía a coste cero, porque no vendemos energía al mercado pool.       
(...)
El precio spot es solo una parte del precio que paga el consumidor. Luego hay impuestos, peajes que también repercuten en la tarifa. Tendrías que consultar a un analista chileno para  conocer estos detalles".




mercredi 8 juin 2016

Enquête Globescan 2016 Sustainability leaders

Le 7 juin, Globescan et Sustainability ont publié les résultats de leur enquête mondiale "2016 Sustainability leaders" ("les leaders du durable") qui s'intéresse aux entreprises, gouvernements et ONG. Du côté des entreprises performantes en RSE, on retrouve Unilever et Patagonia. Les ONG sont vues comme ayant le plus d'impact, avec les entreprises sociales, pour faire avancer l'agenda du développement durable. Bien qu'il soit discutable (Oh my God la France y est absente !), ce classement fournit quelques indications précieuses.

"Fier d'être troisième, félicitations à Unilever et Patagonia", tweetait le fabricant de moquettes Interface, hier à l'occasion de la parution du baromètre Globescan et Sustainability. Cette année, les deux sociétés de consulting se sont unies pour interroger 907 experts en développement durable (DD). Il s'agit d'experts "confirmés qui ont été interrogés par internet en avril 2016. Voici leur profil :






Tous les classements sont questionnables

Comme tous les classements RSE (et ils sont nombreux, voir à ce sujet mon article pour Youphil sur les classements qui comptent), celui-ci peut être relativisé, et même critiqué sur sa transparence et sur sa méthodologie. Par exemple, on ne sait pas si les experts sondés sont les mêmes d'une année sur l'autre ... Et dans quelle mesure sont-ils indépendants ? Ce n'est pas précisé. Le fait que Globescan, une entreprise qui fait du conseil en stratégie de (bonne) réputation, ait dans ses références clients plusieurs des marques qui ont été distinguées, comme Unilever et Ikea, n'est-il  pas un souci en terme de crédibilité ? Une enquête approfondie serait utile. Toujours est-il que le sondage sur les Sustainabilty leaders n'est pas inintéressant.

Et de fait le classement est cohérent avec d'autres évaluations, comme "Behind the Brands" d'Oxfam qui a aussi distingué Unilever depuis 2013, sur un terrain spécifique il est vrai, celui de l'agriculture durable. Patagonia ? C'est incontestablement une marque pionnière du prêt-à-porter durable, citée régulièrement par les acteurs de la RSE comme une entreprise "du haut du panier".  

Qu'en est-il du "ranking" des ONG ? Rien de très surprenant sur ce registre. Cela sera l'occasion pour certains de s'intéresser aux ONG bien connues des acteurs de l'Investissement Socialement Responsable (ISR), comme CERES. D'autres s'étonneront de l'absence de Friends of the Earth (Les Amis de la Terre).



Du côté des gouvernements, le jugement est sans appel : les Etats d'Europe et l'Europe du Nord, dont la Suède, mènent la danse en matière de crédibilité sur les politiques développement durable. Voilà qui apprendra à certains Etats géométriques (voir, hexagonaux) qu'être fier-à-bras sur le bas carbone ne suffit pas et que le DD est une affaire d'acharnement holistique et... de conviction dans la durée ?

Pour le classement des Etats je renvoie à l'étude pour les détails. Il y a plus intéressant, à mon avis.

L'enquête s'est aussi penchée sur les raisons qui expliquent le leadership RSE. Ses fondements, en quelque sorte :

Question posée par les enquêteurs :


Choisissez et classez 3 raisons qui expliquent pourquoi une entreprise peut être considérée comme leader en développement durable.

Réponses majoritaires  : 
UN une stratégie RSE qui est alignée sur la culture interne et les valeurs.

DEUX une mission RSE ("purpose") intégrée dans le coeur d'activité et dans la promesse de la marque

TROIS : rechercher des modèles économiques de rupture, qui apportent un bénéfice net positif (= une performance globale positive).

Ces trois éléments sont sans doute le mantra pour une stratégie RSE ambitieuse et différenciante. 



Et il y a dernier enseignement que je trouve très intéressant : les mouvements citoyens de changement social ("Citizen-led mass social change movements") sont considérés comme un acteur essentiel du changement vers une société plus durable.

Voici qui devrait encourager 350.org, Alternatiba et tous les mouvements décentralisés qui occupent / ont occupé / occuperont les places, d'Ankara à Madrid en passant par Paris, Montréal et Hong Kong.

Question posée par les enquêteurs :

Comment notez-vous la performance des types d'organisations suivants en terme de contribution au progrès on développement durable depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992?

Réponses : 





Source : 

The 2016 SustainAbility Leaders

A GlobeScan / SustainAbility Survey - publié le 7 juin 2016