L'information a été largement
relayée sur les réseaux sociaux et divers sites d'information : Au Chili, il y aurait tellement de panneaux
solaires installés que l'électricité y serait devenue gratuite une
partie de l'année. Hélas, l'information est fausse, sauf pour
quelques villages (et encore ?). Au total, seule 5% de la capacité électrique installée et raccordée aux réseaux électriques du pays est solaire
(chiffres du gouvernement, mai 2016).
Il y a quelques jours, je suis tombé par hasard sur un titre choc :
Chili : l'énergie solaire est si abondante qu'elle est gratuite !
Information publiée par le nouveau media Positivr. Cela m'a
fortement intrigué car je m'étais intéressé aux énergies
renouvelables pour un article écrit pour Novethic, en 2013 ("Hidroaysen, casse-tête énergétique au Chili"). Et j'en
gardais l'idée que le Chili est à la traîne en matière d'énergie
solaire, malgré un potentiel fort, qui n'a pas échappé à tous les voyageurs passés dans le désert de l'Atacama. Trois ans plus tard, cela aurait
donc changé du tout au tout ? Pas tout à fait, en réalité : d'après
les statistiques du gouvernement, sur une capacité
raccordée de 21056 MW, seul un petit 1112,8 MW est solaire. Soit 5%. Certes, le nouveau gouvernement de Michelle Bachelet met bien les bouchées doubles sur les énergies renouvelables, mais c'est le cas seulement depuis 2014/2015 et aujourd'hui plus de 70% de l'électricité du pays est produite avec du pétrole, du gaz et du charbon. Et elle est payante pour 99% des Chiliens.
Bloomberg, un article au titre trompeur
Comment expliquer la diffusion de cette fausse information ? Tout est parti d'un article de Bloomberg au titre trompeur et d'un graphique mal interprété. La suite est assez symptomatique de la tendance croissante, dans les médias, à relayer une
information sans la vérifier à la source. Avec l'accélération de l'infobésité
et le manque de moyens dont souffrent les rédactions, vérifier sa source n'est plus systématique.
Dans le cas qui nous intéresse, tout est parti d'un article de
Bloomberg, intitulé : « Chile has so much solar energy it's giving it away for free ». Traduction : "Le Chili a tellement
d'énergie solaire qu'il le donne gratuitement". L'affirmation se base sur l'interview du patron d'un producteur
l'électricité (Acciona), Rafael Mateo, qui explique qu'il y a actuellement une ruée vers l'or solaire au Chili et que les dernières centrales solaires qui ont été mises en opération seraient en surcapacité locale.
Surcapacité, mais hyperlocale
Et les prix gratuits, dans tout ça ? L'interviewé ne dit rien à ce sujet mais le journaliste affirme que « les
prix spot ont atteint zéro dans plusieurs endroits du pays, pendant
113 jours jusqu'en avril ». Pour illustrer, il publie le graphique des prix spot où l'on
voit le prix effectivement descendre à zéro. Mais où ça ? Et quels prix ? Le graphique indique qu'il s'agit de la sous-station Diego de Almagro, sans préciser quelle est sa puissance raccordée et où elle se situe.
La suite du paper explique que ce prix "spot" bas est en fait lié au non
raccordement des centrales solaires du Nord du Chili aux réseaux du
centre et du sud. Il s'agit donc d'une sorte de surcapacité
hyperlocale, dans un pays où les lignes à haute tension du Nord ne sont pas connectées à celles du Sud.
Quels sont ces "plusieurs endroits" où l'électricité "spot" est gratuite ? Dans quelle mesure un prix spot égal à zéro se traduit-il par un prix zéro pour les clients finaux ? Et quelle est la puissance en MW concernée ? J'ai cherché l'information dans la presse chilienne (via le web) et je n'ai pas trouvé la réponse. (juste un article de 2014 mentionne un village autosuffisant en électricité, grâce à des panneaux solaires)... Par contre, les statistiques du gouvernement (la CNE) sont formels ; ils indiquent que la sous-station de Diego de Almagro est raccordée à une centrale solaire d'une capacité de...28 MW. A titre de comparaison, la plus grosse centrale solaire en France affiche une puissance de 300 MW.
En résumé, le solaire au Chili pèse peu, 5% de la capacité d'électricité du pays et le boom récent du solaire n'a pas entraîné la gratuité des prix pour grand monde. Voir, pour personne ? (voir ma note en fin d'article).
Article dans l'Express Live (rien à voir avec le magazine l'Express) :
Dimanche 11 juin sur France Inter, quelle ne fut pas ma surprise, d'entendre François Siegel, le directeur du magazine We Demain, reprendre lui aussi l'exemple du Chili, pays tellement avancé dans l'énergie
solaire que l'électricité y est gratuite ! Dans l'émission
La Politique autrement de Stéphane Paoli.
Quelle leçon tirer de cette histoire ? Vérifier les sources, plus que jamais. Et ne pas prendre Positivr et l'Express Live pour des médias fiables.
Pour ceux que cela intéresse, voici les chiffres des capacités de production électrique au Chili raccordées aux réseaux d'électricité, d'après la commission chilienne de l''énergie (Total et pour les deux principaux réseaux du pays SING et SIC).
AJOUT DU 14 JUIN.
J'ai contacté Acciona, le producteur d'électricité renouvelable qui est interviewé par Bloomberg, pour savoir s'ils offrent de l'électricité gratuitement : la réponse est non. Est-ce qu'un prix "spot" égal à zéro (comme cela a été le cas à la sous-station d'Almagro) implique un prix zéro pour le client ? Pas forcément, car il y a des taxes et des frais de péage qui s'ajoutent, d'après Acciona.
Extrait de mon échange avec Acciona:
J'ai contacté Acciona, le producteur d'électricité renouvelable qui est interviewé par Bloomberg, pour savoir s'ils offrent de l'électricité gratuitement : la réponse est non. Est-ce qu'un prix "spot" égal à zéro (comme cela a été le cas à la sous-station d'Almagro) implique un prix zéro pour le client ? Pas forcément, car il y a des taxes et des frais de péage qui s'ajoutent, d'après Acciona.
Extrait de mon échange avec Acciona:
Hola Thibault,
Gracias por ponerte en contacto con ACCIONA.
El artículo de Bloomberg ha dado margen a cierta confusión, al no distinguir los operadores de energías renovables que operan con contratos de suministro de largo plazo (Power Purchase Agreements, en inglés), que es nuestro caso, y los que desarrollan proyectos de energía para venderla en el mercado spot.
ACCIONA desarrolla proyectos únicamente con contratos de suministro de largo plazo, como es el caso de la planta fotovoltaica de El Romero, actualmente en construcción, que suministrará los centros de datos de Google en el país.
(...)
Nosotros no hemos sido afectados por los bajos precios del pool, ni hemos vendido energía a coste cero, porque no vendemos energía al mercado pool.
(...)
El precio spot es solo una parte del precio que paga el consumidor. Luego hay impuestos, peajes que también repercuten en la tarifa. Tendrías que consultar a un analista chileno para conocer estos detalles".