mercredi 31 décembre 2014

Le "nouveau pouvoir" selon Heimans et Timms


Et si derrière la nouvelle économie collaborative, c'était la redéfinition du « pouvoir » qui se jouait ? C'est l'hypothèse et l'analyse passionnante de Jeremy Heimans et Henry Timms, dans un article publié dans la « Harvard Business Review » de décembre, "comprendre le nouveau pouvoir".

« Le pouvoir ancien fonctionne comme une monnaie. Il est détenu par quelques uns. Une fois obtenu, il est jalousement gardé et les Puissants ont ensuite un stock substantiel à dépenser. Le pouvoir ancien est fermé, inaccessible et conduit par des leaders. Il est descendant et il capture. Le "pouvoir nouveau" ( new power ) fonctionne différemment, comme un courant. Il est créé par la multitude, il est ouvert, participatif et conduit par des pairs. Il télécharge et il distribue. Comme l'eau et l'électricité, il est plus puissant quand il déferle. L'enjeu ou le but avec ce nouveau pouvoir n'est pas de l'amasser mais de le canaliser ».

 Echelle de participation / le nouveau pouvoir
"

Simpliste, cette distinction ? Oui, si on prend en compte que le pouvoir est éminemment complexe, qu'il s'agisse de celui des entreprises, découlant de la puissance identitaire d'une marque, ou de celui des hommes, découlant de leur charisme, de leur réseau et de leur portefeuille. Mais la différenciation entre pouvoir ancien et nouveau que proposent Jeremy Heimans et Henry Timms est féconde : elle permet aux deux auteurs de proposer une analyse très intéressante des impacts possibles de la « nouvelle économie » (économie collaborative + plateformes internet de type Facebook) sur notre relation au pouvoir.

Il serait souhaitable que cet article majeur de la Harvard Business Review soit bientôt traduit et publié dans la version française du magazine HBR. En attendant, en voici un aperçu.

Les auteurs : Jeremy Heimans est président de l'organisation Purpose, après avoir été co-fondateur du réseau de pétitions citoyennes Avaaz. Henry Timms dirige le centre culturel 92nd Street à New York, après avoir co-fondé le Social Good Week.

Leur hypothèse centrale 
A travers la combinaison de l'économie participative de l'internet, symbolisée par Wikipedia et Facebook, avec la nouvelle économie collaborative (Blablacar, Airbnb, Uber...), « un nouvel ensemble de valeurs et de croyances se forge. Le pouvoir ne fait pas que couler différemment. Les gens sentent et pensent différemment ».  

Avec Facebook par exemple, « 500 millions de personnes partagent et transforment 30 milliards de morceaux de contenus chaque mois sur la plateforme, c'est un niveau hallucinant de participation duquel la survie de Facebook dépend ». Aujourd'hui, la majorité des "facebookiens" n'en sont pas conscients. Mais demain ? Déjà, les utilisateurs d'une plateforme de financement participatif et des bit coins voient différemment l'utilité des banques et des intermédiaires de crédit. Et les adeptes du co-voiturage remettent en cause le lien entre posséder une voiture et pouvoir se déplacer.



Un cadre pour comprendre les acteurs
Les auteurs fournissent une intéressante cartographie des acteurs, avec deux axes : valeurs de pouvoir (anciennes / nouvelles) et modèles de pouvoir (ancien / nouveau). Le nouveau modèle de pouvoir inclue Facebook et Uber, qui sont connecteurs. Mais ces entreprises ont des valeurs de pouvoir (actionnariat, gouvernance, secret) anciennes.

Apple et la NSA sont des « forteresses » au sens où elles cumulent l'ancien modèle de pouvoir avec les anciennes valeurs.

Les nouvelles valeurs et les nouveaux modèles se retrouvent combinés chez Wikipedia, Occupy et Etsy, que les auteurs appellent des « foules ».

Il y a enfin les « meneurs » (cheerleaders), comme la marque de vêtements durables Patagonia et The Guardian, qui associent un discours nouveau sur les valeurs de pouvoir, à un modèle réel de pouvoir plutôt « old school ».

Nouvelles stratégies
Bien sûr, les entreprises sont au courant de l'émergence de l'économie collaborative, même si la plupart n'ont pas la grille de lecture proposée dans l'article, ni une stratégie bien définie sur leur rapport au pouvoir. A leur égard, Heimans et Timms proposent une « marche à suivre » en trois étapes : s'évaluer + se confronter à ses opposants (en anticipant un "occupy" dans son entreprise !) + développer sa capacité de mobilisation. Signe que leur analyse est tout sauf simpliste, les deux auteurs signalent qu'un chemin possible pour un « leader » est le « bilinguisme ». Autrement dit, combiner comme selon eux Ariana Huffington le fait déjà, les deux approches, anciennes et nouvelles, du pouvoir.

La conclusion est une mise en perspective qui évite la naiveté. Les acteurs du « nouveau pouvoir » n'auront un impact profond et significatif que s'ils réussissent à modeler la structure et le système de nos sociétés. D'où un combat annoncé :

« La bataille qui s'annonce, que vous soyez en faveur des anciennes ou des nouvelles valeurs de pouvoir, portera sur le contrôle et modelage des structures et systèmes fondamentaux de la société ».

Structures et systèmes : les termes rappellent Marx et Levi-Strauss. Mais de quoi s'agit-il ? Il est dommage que les auteurs ne répondent pas à cette question brûlante, mais cela n'enlève rien à l'intérêt de leur papier : centrer la réflexion sur le pouvoir et inspirer les acteurs de l'économie collaborative. C'est-à-dire nous tous.



mercredi 17 décembre 2014

Démonstrateurs COP21 à Paris

La Mairie de Paris lance un appel à manifestation d'intérêt pour des démonstrateurs COP21. Les thématiques sont larges (efficacité énergétique, économie circulaire....). Les projets sélectionnés seront montrés aux Parisiens lors d'une exposition spécifique entre le 20 novembre et le 13 décembre 2015. Mais aussi pour certains, dès l'été 2015 à Paris Plage. L'appel est ouvert aux entreprises, associations, institutions académiques, qui devront financer elles-même leurs installations. La mairie se limitera à communiquer et à mettre à disposition l'espace public.



Je cite la Mairie :

" Les solutions et produits exposés devront relever dune des thématiques suivantes :
- Efficacité énergétique
- Production d’énergies renouvelables
- Économie circulaire
- Mobilité et logistique urbaines
- Adaptation et prévention
- Lutte contre la pollution
- Lutte contre les ilots de chaleur, outils de régulation thermique des territoires
(...)

Cet appel est ouvert à tous types d’acteurs (entreprises, ESS, associations, universités, écoles, laboratoires, collectifs…), français et internationaux, en capacité d’exposer à Paris un démonstrateur contribuant à la ville durable dans le calendrier indiqué ci-après. Il vise en particulier à faire la démonstration des savoir-faire des acteurs du secteur privé, du monde associatif et du monde de la recherche.

L’événement principal de cette exposition des innovations se tiendra vraisemblablement du 20 novembre au 13 décembre 2015, dans un espace public délimité à définir, tandis que d’autres évènements auront lieu entre mai et novembre.


La mobilisation Paris 2015 s’étendra sur toute l’année et de nombreux lieux et périodes d’exposition
en lien avec des évènements organisés à Paris sont proposés aux candidats intéressés.

Les évènements phares pré identifiés sont :
- Le Business & Climate Summit les 20 et 21 mai
- Paris Plages de mi-juillet à mi-août
- Les États Généraux du Grand Paris de l’Économie circulaire dont les conclusions se tiendront
du 14 au 16 septembre
- Le Conseil Mondial des Cités et Gouvernements Locaux Unis en novembre
- La COP 21 du 30 novembre au 11 décembre
Les lieux phares pour l’exposition de solutions sont :
- Les Quais de Seine (auxquels sont associées des règles particulières d’occupation du domaine public compte tenu de la proximité du fleuve et du caractère inondable de la zone)
- Le Bassin de la Villette et le Canal de l’Ourcq
- Le parvis de l’Hôtel de Ville
- Éventuellement d’autres espaces publics adaptés aux projets proposés

Calendrier de la consultation et modalités de candidature
Le calendrier de la consultation est le suivant :
  • Lancement de l’AMI : décembre 2014
  • Réunion d’information : 12 janvier 2015
  • Date limite de la déclaration d’intérêt: 31 janvier 2015
  • Pré-sélection et demande de dossier détaillé aux entreprises présélectionnées : Première quinzaine de février
  • Date limite de dépôt du dossier détaillé : début mars 2015
  • Instruction des dossiers et étude de faisabilité des déploiements : mars- avril 2015
  • Déploiements : de mai à novembre 2015
Une réunion d’information aura lieu le 12 janvier à 9h00 à l’Hôtel de Ville de Paris, accès par le 5 rue Lobau 75004 Paris.

Et voici ma suggestion personnelle aux inventeurs : créez-nous un composteur intelligent et pédagogique, à installer à Paris Plage. Ses parois seraient en partie transparentes, pour que le passant découvre l'activité bio-chimique. Il renseignerait, via des capteurs, sur la température, l'humidité, le niveau de qualité du compost. Et pourquoi pas une micro-caméra à l'intérieur pour suivre la microfaune ? ....

L'appel à manifestation est à télécharger ici : Appel à manifestation d’intérêt « Démonstrateurs de solutions pour le climat et la transition énergétique sur l’espace public parisien» Paris Climat 2015

Source :
http://www.paris.fr/pro/professionnels/paris-climat-2015-appel-a-manifestation-d-interet/rub_9487_actu_151781_port_24874


Photo : Bergeronnette des Ruisseaux / Tuileries 2013 / Jean-Jacques Boujot via Flickr

lundi 15 décembre 2014

Conférence Climat : Paris a sa coquille vide


 

19 ans après la première « conférence des parties » signataires de la convention climat de l'ONU, la vingtième « COP » s'est clôturée à Lima au Pérou, le 13 décembre. Résultat ? Un texte de 43 pages, « Lima Call for Climate Action », a été accepté à l'arrachée. Il est truffé de paragraphes optionnels, qui indiquent les désaccords restant à combler. Ce texte servira de base à l'accord définitif, attendu à Paris en décembre 2015. Echec, ou réussite, que cette COP de Lima ? Au sens strict, c'est-à-dire au vu des objectifs officiels, c'est une réussite, puisqu'une ébauche de texte a bel et bien été produite. Plus largement, cette conférence numéro 20 n'a pas fait bouger les lignes : les différences d'approche qui existaient auparavant, notamment entre les pays industrialisés et les pays les plus pauvres, subsistent. Les financements nécessaires pour s'adapter au changement climatique et pour décarboner les économies restent chiches. D'où les déceptions, affichée par les « vieilles barbes » des négociations climatiques et par les ONG environnementales. A leurs yeux, ce qui est sorti de Lima ne pisse pas loin.

Entre accord climat et stratégie du colibri
Pendant douze jours, les 193 Etats membres de l'ONU, plus l'Union Européenne et deux états rattachés à la Nouvelle Zélande (Cook et Niue, non membres de l'ONU), soit 196 « parties » au total, ont donc négocié l'ébauche d'un traité Kyoto 2.0. Le but de ce nouveau traité sur le climat, qui doit être finalisé lors de la prochaine COP, à Paris en décembre 2015, est d'engager les signataires à réduire leurs émissions de CO2, en cohérence avec un objectif de réchauffement climatique limité à 2°C d'ici 2100 (par rapport aux températures de l'ère « pré-industrielle »). Encore faut-il que les 196 signataires fassent comme l'Union Européenne l'a déjà fait en octobre : annoncer un engagement chiffré de réduction. Si tous les Etats n'ont pas joué le jeu avant le 31 octobre 2015 (ils sont même invités à le faire avant le 31 mars), la COP 21 fera « pshitt » et les autres pays auront devant eux une alternative : renoncer, ou bien faire comme le colibri dans la fable de Pierre Rabhi.

ONU : « le monde est sur les rails pour Paris 2015 »
Le communiqué final de la Convention cadre de l'ONU sur le climat est un très bon révélateur sur ce qu'a produit Lima : peu de choses nouvelles mais quelques avancées et des gros obstacles maintenus. Pour preuve, voici les deux premiers points mis en avant par l'ONU. Je les décrypte.
  • Financement du Fonds vert : « Des engagements ont été annoncés par des pays développés et en développement, avant et pendant la COP », à hauteur de plus de 10 Milliards de dollars.
Décryptage : à Copenhague (COP 15 en 2009) l'engagement était d'apporter 100 milliards de dollars par an d'ici 2020. Il reste six ans pour rassembler les 90 milliards manquants, ce qui fait 15 milliards d'annonces nouvelles en moyenne chaque année. Le chiffre peut paraître énorme, mais il est faible comparé aux subventions que les Etats versent à la consommation d'énergies fossiles (554 milliards de dollars en 2012, selon l'agence internationale de l'énergie).
  • « Les niveaux de transparence et de confiance ont atteint des nouveaux sommets (sic) puisque plusieurs pays industrialisés se sont soumis à l'évaluation de leurs objectifs de réductions d'émissions, dans le cadre d'un nouveau procédé appelé « évaluation multilatérale ».
Décryptage : Le cœur de l'accord sur le climat sera la somme des « contributions nationales volontaires », c'est-à-dire des engagements que chaque pays prend. La France, par exemple, s'est déjà engagée sur deux objectifs : -40% de CO2 en 2030 par rapport à 1990 (l'objectif est européen) et la division par 4 de ses émissions entre 1990 et 2050 (« facteur 4 »). Des objectifs de réduction spécifiques sont fixés pour les industries les plus émettrices et un « reporting » régulier est publié. C'est une transparence qu'on peut qualifier d'assez élevée.
Mais la crainte des négociateurs est que les engagements annoncés pays par pays d'ici décembre 2015 ne soient pas comparables et qu'on ne puisse par en faire la somme. Autre crainte : que par la suite le degré d'atteinte de ces annonces ne soit pas vérifiable. D'où l'accent mis sur les « bonnes pratiques » de transparence sur les objectifs de réduction CO2. C'est tout l'objet du nouveau procédé d'évaluation multilatérale auquel 17 pays se sont plié à Lima. Une sorte de tentative d'émulation / pression par l'exemple...

Dans les autres points à retenir : un prix au carbone
Deux nouveautés sont à souligner dans le texte qui a été adopté : la première est qu'il accorde (presque) la même importance aux mesures d'adaptation au changement climatique qu'aux mesures de réduction des émissions CO2 (« atténuation » ou mitigation en anglais). C'est fondamental pour les populations les plus touchées par le changement climatique.
Deuxième nouveauté : le texte reconnaît dans son préambule l'importance de mettre un prix (un coût) au carbone : « le prix du carbone est une approche clef pour que les réductions d'émissions de gaz à effet de serre soient viables économiquement (« cost effective ») ». Le prix du carbone signifie soit une taxe soit un système de quotas CO2 comme celui du marché européen ETS.

L'agenda 2015
Les équipes de Christina Figueres, la secrétaire générale de la Convention climat de l'ONU, ainsi que celles de Laurent Fabius, qui pilote l'organisation de la conférence COP21 à Paris, ont désormais des jalons clairs : les 195 pays sont invités à présenter leurs objectifs de réduction avant le 31 mars. Et l'ONU devra présenter une somme ou une « agrégation » de tous ces objectifs pour le 1er novembre 2015. D'ici là, les pays les plus exposés auront continué de trinquer et les colibris seront, probablement, un peu plus nombreux à éteindre l'incendie.

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Quelques articles de la COP Lima :

Pas de fumée blanche à Lima dimanche malgré les prolongations / AJEC 21
Dans cet article Claude-Marie Vadrot, un journaliste qui couvre les conférences climat de l'ONU depuis des années, est sans concession. A ses yeux, l'accord est faible et le spectre d'un réchauffement au-delà des 3°C se précise.

A Lima, la COP 20 sauve la face plus que la planète / Libération
Christian Losson décrit les tensions présentes à Lima. Intéressant.

L'accord de Lima sauve les négociations climat, l'Inde est satisfaite / Times of India
Selon le ministre de l'environnement indien, dont le pays est le troisième plus gros émetteur de CO2 , à Lima « toutes les attentes de l'Inde on été satisfaites », en particulier le maintien du principe de « responsabilités communes et différenciées », qui implique que les gros émetteurs historiques (pays de l'OCDE) fassent plus d'effort que les nouveaux ateliers du monde global. L'inde est attendu au tournant sur ses objectifs climat.


Crédit photo : Joisey Showaa / Flick