jeudi 19 septembre 2013

Maladies nosocomiales : l'élevage industriel est-il en cause ?

Alors qu'en France le gouvernement veut réduire l'usage d'antibiotiques dans les élevages industriels, une étude officielle américaine fait le point sur le développement des bactéries résistantes aux antibiotiques : 2 millions de personnes infectées par an, 23.000 morts. L'étude met en cause l'usage excessif de ces médicaments, non seulement chez les humains mais dans les élevages industriels. Un pavé dans la mare aux cochons !



Aux Etats-Unis, les bactéries résistantes aux antibiotiques, dont les plus virulentes, les « superbugs », ne connaissent pas la crise : 2 millions de personnes sont infectées chaque année, 23 000 en meurent. Une partie des victimes développent l'infection lors d'un séjour à l'hôpital : ce sont les fameuses infections nosocomiales. Pour l'agence fédérale U.S. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), il faut d'urgence limiter l'usage des antibiotiques non seulement chez les humains, mais aussi chez les animaux d'élevage. Le CDC s'inquiète aussi du peu de moyens mis par les laboratoires pharmaceutiques pour développer des nouveaux antibiotiques (une inquiétude qui n'est pas nouvelle, voir à ce sujet un article publié dans La Recherche en 2005 - et la note 1).

L'étude du CDC, diffusée lundi dernier, 16 septembre, a été vite reprise par Thomson Reuters et en France, par le Huff Post et le Nouvel Obs. Elle recense les bactéries résistantes suivant leur degré de dangerosité, analyse les causes de leur émergence et fait toute une série de recommandations, dont en premier lieu la réduction dans l'usage des antibiotiques. « Jusqu'à la moitié de l'utilisation d'antibiotiques chez les humains et une grande partie chez les animaux n'est pas nécessaire », estiment les scientifiques, après avoir rappelé que les résistances se développent d'autant plus que le médicament est largement utilisé et donc présent chez les Humains et chez les animaux. Car l'étude, n'en déplaise à certains commentaires sur le Huffington Post français, fait clairement le lien entre l'usage des antibiotiques dans l'élevage industriel et l'essor de ces résistances... battant en brèche les déclarations de vertu des éleveurs.

Les éleveurs américains sont dans le déni
Comme le relève mon confrère Tom Philpott du média Mother Jones, le rapport du CDC contredit le discours des éleveurs américains, dans un pays où presque 80% des antibiotiques consommés sont utilisés dans les fermes. Qu'on en juge :

D'après le site web du National Pork Producers Council (fédération des éleveurs de porc), l'usage des antibiotiques serait proportionné et le CDC n'aurait trouvé « aucun lien prouvé entre l'usage des antibiotiques chez les animaux et l'échec d'un traitement chez les Humains ». Mais la nouvelle étude du CDC dit, en substance, exactement le contraire, comme le résume son schéma explicatif :


Et Philpott de pointer la contradiction :

Pour le CDC, « ces médicaments devraient être utilisés seulement pour traiter les infections ».

Alors que pour le National Pork Producers Council, l'usage des antibiotiques dans les porcheries industrielles est recommandé pour « le traitement des infections, mais aussi « pour la prévention des maladies, le contrôle des maladies » ainsi que et pour « l'efficacité nutritionnelle des animaux », vous savez, l'effet « boeuf » des antibios qui fait grossir (ou grassir) plus vite les bestiaux.

Le rapport du CDC est en fait terriblement explicite. Pour la bactérie campylobacter par exemple (une des principales causes d'infection dans les élevages), le CDC recommande d' « éviter l'usage inappropriés des antibiotiques dans les élevages » et de recenser l'usage de ces antibiotiques dans la nourriture animale. Forcément, pour réduire, il faut déjà connaître et suivre le niveau d'usage, ce qui n'est pas obligatoire aux USA.

Le staphylocoque doré est corrélé au lisier de porc
Tiens, l'étude s'intéresse aussi au staphylocoque doré, vous savez, cette petite bête qui est une des maladies nosocomiales les plus connues, de par son joli nom et le funeste sort qu'elle réserva à Guillaume Depardieu... Soyons clair, le CDC ne pointe pas un lien de causalité direct entre les antibios dans les élevages et la mortalité humaine dûe au staphylocoque (plus de 11.000 morts par an aux USA), il se borne à souligner l'augmentation des morts. Mais une autre étude, relevée par une collègue de Philpott, et publiée dans Nature ce mois-ci, a fait une découverte troublante : une proportion très élevée des personnes infectées par deux variétés de ce staphylocoque (CA-MRSA et HA-MRSA) avaient été en contact avec le lisier (urine et excréments) de porc : « les personnes qui ont été le plus exposées au lisier – exposition définie par leur proximité d'habitat avec une ferme, par la taille de la ferme et par la quantité de lisier - ont 38% de plus de risques d'attraper le CA-MRSA et 30% de plus d'attraper le HA-MRSA ».

Pour Tom Philpott, la conclusion à en tirer est que l'élevage industriel est devenu « un moteur important de la menace des résistances aux antibiotiques ». Mais comme il le souligne, à l'unisson de l'étude du CDC, un des autres aspects préoccupants de cette histoire est que l'industrie pharmaceutique se désintéresse ces dernières années de la recherche de nouveaux antibiotiques.

Dans ce contexte, la volonté du ministre de l'agriculture Stéphane Le foll, annoncée il y a un an, de réduire de 25% en 5 ans l'usage d'antibiotiques dans l'élevage, pourrait être applaudie par le CDC. Par contre aux USA le laissez-faire risque bien de perdurer, pour le plus grand bonheur des « superbugs ». Quant aux éleveurs français, certains pourraient continuer d'aller en douce en Espagne, acheter des antibiotiques. Car comme le signale le Canard Enchainé du 18 septembre dans son conflit de canard, un superbug dans le décret de loi français interdisant l'import d'antibios non autorisés leur facilite la tâche...



crédit photo : Clocker / Flickr / Commons (épandage de lisier de porc)


(1) En 2005 le CDC avait déjà évalué à 2 millions le nombre de personnes infectées par an, mais l'étude du 16 septembre est la première à passer en revue les bactéries résistantes et celles ultra-résistantes (superbugs) et à avoir évalué finement le nombre de morts annuelles, un nombre qui avait été auparavant... surestimé.