lundi 13 juin 2016

Solaire au Chili : tombés dans le panneau

L'information a été largement relayée sur les réseaux sociaux et divers sites d'information : Au Chili, il y aurait tellement de panneaux solaires installés que l'électricité y serait devenue gratuite une partie de l'année. Hélas, l'information est fausse, sauf pour quelques villages (et encore ?). Au total, seule 5% de la capacité électrique installée et raccordée aux réseaux électriques du pays est solaire (chiffres du gouvernement, mai 2016).


Il y a quelques jours, je suis tombé par hasard sur un titre choc : Chili : l'énergie solaire est si abondante qu'elle est gratuite ! Information publiée par le nouveau media Positivr. Cela m'a fortement intrigué car je m'étais intéressé aux énergies renouvelables pour un article écrit pour Novethic, en 2013 ("Hidroaysen, casse-tête énergétique au Chili"). Et j'en gardais l'idée que le Chili est à la traîne en matière d'énergie solaire, malgré un potentiel fort, qui n'a pas échappé à tous les voyageurs passés dans le désert de l'Atacama. Trois ans plus tard, cela aurait donc changé du tout au tout ? Pas tout à fait, en réalité : d'après les statistiques du gouvernement, sur une capacité raccordée de 21056 MW, seul un petit 1112,8 MW est solaire. Soit 5%. Certes, le nouveau gouvernement de Michelle Bachelet met bien les bouchées doubles sur les énergies renouvelables, mais c'est le cas seulement depuis 2014/2015 et aujourd'hui plus de 70% de l'électricité du pays est produite avec du pétrole, du gaz et du charbon. Et elle est payante pour 99% des Chiliens.

Bloomberg, un article au titre trompeur
Comment expliquer la diffusion de cette fausse information ? Tout est parti d'un article de Bloomberg au titre trompeur et d'un graphique mal interprété. La suite est assez symptomatique de la tendance croissante, dans les médias, à relayer une information sans la vérifier à la source. Avec l'accélération de l'infobésité et le manque de moyens dont souffrent les rédactions, vérifier sa source n'est plus systématique. 

Dans le cas qui nous intéresse, tout est parti d'un article de Bloomberg, intitulé :  « Chile has so much solar energy it's giving it away for free ». Traduction : "Le Chili a tellement d'énergie solaire qu'il le donne gratuitement". L'affirmation se base sur l'interview du patron d'un producteur l'électricité (Acciona), Rafael Mateo, qui explique qu'il y a actuellement une ruée vers l'or solaire au Chili et que les dernières centrales solaires qui ont été mises en opération seraient en surcapacité locale. 

Surcapacité, mais hyperlocale
Et les prix gratuits, dans tout ça ? L'interviewé ne dit rien à ce sujet mais le journaliste affirme que « les prix spot ont atteint zéro dans plusieurs endroits du pays, pendant 113 jours jusqu'en avril ». Pour illustrer, il publie le graphique des prix spot où l'on voit le prix effectivement descendre à zéro. Mais où ça ? Et quels prix ? Le graphique indique qu'il s'agit de la sous-station Diego de Almagro, sans préciser quelle est sa puissance raccordée et où elle se situe.



La suite du paper explique que ce prix "spot" bas est en fait lié au non raccordement des centrales solaires du Nord du Chili aux réseaux du centre et du sud. Il s'agit donc d'une sorte de surcapacité hyperlocale, dans un pays où les lignes à haute tension du Nord ne sont pas connectées à celles du Sud.

Quels sont ces "plusieurs endroits" où l'électricité "spot" est gratuite ? Dans quelle mesure un prix spot égal à zéro se traduit-il par un prix zéro pour les clients finaux ? Et quelle est la puissance en MW concernée ? J'ai cherché l'information dans la presse chilienne (via le web) et je n'ai pas trouvé la réponse. (juste un article de 2014 mentionne un village autosuffisant en électricité, grâce à des panneaux solaires)... Par contre, les statistiques du gouvernement (la CNE) sont formels ; ils indiquent que la sous-station de Diego de Almagro est raccordée à une centrale solaire d'une capacité de...28 MW. A titre de comparaison, la plus grosse centrale solaire en France affiche une puissance de 300 MW.

En résumé, le solaire au Chili pèse peu, 5% de la capacité d'électricité du pays et le boom récent du solaire n'a pas entraîné la gratuité des prix pour grand monde. Voir, pour personne ? (voir ma note en fin d'article).


Article dans l'Express Live (rien à voir avec le magazine l'Express) :



Dimanche 11 juin sur France Inter, quelle ne fut pas ma surprise, d'entendre François Siegel, le directeur du magazine We Demain, reprendre lui aussi l'exemple du Chili, pays tellement avancé dans l'énergie solaire que l'électricité y est gratuite ! Dans l'émission La Politique autrement de Stéphane Paoli.



Quelle leçon tirer de cette histoire ? Vérifier les sources, plus que jamais. Et ne pas prendre Positivr et l'Express Live pour des médias fiables.

Pour ceux que cela intéresse, voici les chiffres des capacités de production électrique au Chili raccordées aux réseaux d'électricité, d'après la commission chilienne de l''énergie (Total et pour les deux principaux réseaux du pays SING et SIC). 


AJOUT DU 14 JUIN.
J'ai contacté Acciona, le producteur d'électricité renouvelable qui est interviewé par Bloomberg, pour savoir s'ils offrent de l'électricité gratuitement : la réponse est non. Est-ce qu'un prix "spot" égal à zéro (comme cela a été le cas à la sous-station d'Almagro) implique un prix zéro pour le client ? Pas forcément, car il y a des taxes et des frais de péage qui s'ajoutent, d'après Acciona.

Extrait de mon échange avec Acciona:

Hola Thibault,

Gracias por ponerte en contacto con ACCIONA.

El artículo de Bloomberg ha dado margen a cierta confusión, al no distinguir los operadores de energías renovables que operan con contratos de suministro de largo plazo (Power Purchase Agreements, en inglés), que es nuestro caso, y los que desarrollan proyectos de energía para venderla en el mercado spot.

ACCIONA desarrolla proyectos únicamente con contratos de suministro de largo plazo, como es el caso de la planta fotovoltaica de El Romero, actualmente en construcción, que suministrará los centros de datos de Google en el país.
(...)
Nosotros no hemos sido afectados por los bajos precios del poolni hemos vendido energía a coste cero, porque no vendemos energía al mercado pool.       
(...)
El precio spot es solo una parte del precio que paga el consumidor. Luego hay impuestos, peajes que también repercuten en la tarifa. Tendrías que consultar a un analista chileno para  conocer estos detalles".




mercredi 8 juin 2016

Enquête Globescan 2016 Sustainability leaders

Le 7 juin, Globescan et Sustainability ont publié les résultats de leur enquête mondiale "2016 Sustainability leaders" ("les leaders du durable") qui s'intéresse aux entreprises, gouvernements et ONG. Du côté des entreprises performantes en RSE, on retrouve Unilever et Patagonia. Les ONG sont vues comme ayant le plus d'impact, avec les entreprises sociales, pour faire avancer l'agenda du développement durable. Bien qu'il soit discutable (Oh my God la France y est absente !), ce classement fournit quelques indications précieuses.

"Fier d'être troisième, félicitations à Unilever et Patagonia", tweetait le fabricant de moquettes Interface, hier à l'occasion de la parution du baromètre Globescan et Sustainability. Cette année, les deux sociétés de consulting se sont unies pour interroger 907 experts en développement durable (DD). Il s'agit d'experts "confirmés qui ont été interrogés par internet en avril 2016. Voici leur profil :






Tous les classements sont questionnables

Comme tous les classements RSE (et ils sont nombreux, voir à ce sujet mon article pour Youphil sur les classements qui comptent), celui-ci peut être relativisé, et même critiqué sur sa transparence et sur sa méthodologie. Par exemple, on ne sait pas si les experts sondés sont les mêmes d'une année sur l'autre ... Et dans quelle mesure sont-ils indépendants ? Ce n'est pas précisé. Le fait que Globescan, une entreprise qui fait du conseil en stratégie de (bonne) réputation, ait dans ses références clients plusieurs des marques qui ont été distinguées, comme Unilever et Ikea, n'est-il  pas un souci en terme de crédibilité ? Une enquête approfondie serait utile. Toujours est-il que le sondage sur les Sustainabilty leaders n'est pas inintéressant.

Et de fait le classement est cohérent avec d'autres évaluations, comme "Behind the Brands" d'Oxfam qui a aussi distingué Unilever depuis 2013, sur un terrain spécifique il est vrai, celui de l'agriculture durable. Patagonia ? C'est incontestablement une marque pionnière du prêt-à-porter durable, citée régulièrement par les acteurs de la RSE comme une entreprise "du haut du panier".  

Qu'en est-il du "ranking" des ONG ? Rien de très surprenant sur ce registre. Cela sera l'occasion pour certains de s'intéresser aux ONG bien connues des acteurs de l'Investissement Socialement Responsable (ISR), comme CERES. D'autres s'étonneront de l'absence de Friends of the Earth (Les Amis de la Terre).



Du côté des gouvernements, le jugement est sans appel : les Etats d'Europe et l'Europe du Nord, dont la Suède, mènent la danse en matière de crédibilité sur les politiques développement durable. Voilà qui apprendra à certains Etats géométriques (voir, hexagonaux) qu'être fier-à-bras sur le bas carbone ne suffit pas et que le DD est une affaire d'acharnement holistique et... de conviction dans la durée ?

Pour le classement des Etats je renvoie à l'étude pour les détails. Il y a plus intéressant, à mon avis.

L'enquête s'est aussi penchée sur les raisons qui expliquent le leadership RSE. Ses fondements, en quelque sorte :

Question posée par les enquêteurs :


Choisissez et classez 3 raisons qui expliquent pourquoi une entreprise peut être considérée comme leader en développement durable.

Réponses majoritaires  : 
UN une stratégie RSE qui est alignée sur la culture interne et les valeurs.

DEUX une mission RSE ("purpose") intégrée dans le coeur d'activité et dans la promesse de la marque

TROIS : rechercher des modèles économiques de rupture, qui apportent un bénéfice net positif (= une performance globale positive).

Ces trois éléments sont sans doute le mantra pour une stratégie RSE ambitieuse et différenciante. 



Et il y a dernier enseignement que je trouve très intéressant : les mouvements citoyens de changement social ("Citizen-led mass social change movements") sont considérés comme un acteur essentiel du changement vers une société plus durable.

Voici qui devrait encourager 350.org, Alternatiba et tous les mouvements décentralisés qui occupent / ont occupé / occuperont les places, d'Ankara à Madrid en passant par Paris, Montréal et Hong Kong.

Question posée par les enquêteurs :

Comment notez-vous la performance des types d'organisations suivants en terme de contribution au progrès on développement durable depuis le sommet de la Terre à Rio en 1992?

Réponses : 





Source : 

The 2016 SustainAbility Leaders

A GlobeScan / SustainAbility Survey - publié le 7 juin 2016








lundi 16 mai 2016

Travail détaché et RSE : responsabilité solidaire

Le recours au travail détaché, notamment pour (ou par) des entreprises du BTP ou des transports, est un domaine d'impact à suivre pour les praticiens de la RSE. En janvier 2015, un groupe de travail de la plateforme nationale sur la RSE a permis de faire le point sur le cadre légal. Deux notions percolent avec la RSE :  celle de "concurrence sociale déloyale" et celle de "responsabilité solidaire".




Suite au reportage de Cash Investigation sur le recours abusif au travail détaché, j'ai souhaité approfondir les relations entre travail détaché et RSE (voir mon post de blog du 20 avril 2016 "Travail détaché : nouvel enjeu de RSE ? ).

J'ai découvert qu'en janvier 2015, la question du travail détaché a fait l'objet d'une présentation à la plateforme nationale sur la RSE. Plus précisément, au groupe de travail n° 3 de la Plateforme RSE, "Implications de la responsabilité des entreprises sur leur chaîne de valeur (filiales et fournisseurs)".

A cette occasion, Anne Thauvin, chef du pôle travail illégal au sein de la DG Travail (Ministère du Travail etc) a présenté "la responsabilité solidaire sur le recours abusif aux travailleurs détachés". La responsabilité solidaire a été instaurée par la Loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale

Le compte-rendu de cette réunion, qui est très éclairant, est disponible sur le site de France Stratégie, à cette adresse :


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En résumant, la loi contre la concurrence sociale déloyale introduit des dispositions qu'on peut légitimement considérer comme une partie du "socle légal" pour toute approche RSE du travail détaché.
  • Elle crée une responsabilité solidaire pour les maîtres d'ouvrage et donneurs d'ordre en cas de non-paiement des salaires,
  • Elle impose au donneur d'ordre ou maître d'ouvrage un certain nombre d'obligations de moyens et de vérifications auprès de ses sous-traitants.
Un minimum légal que toutes les entreprises ne respectent pas, si l'on en juge par le reportage de Cash Investigation...

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Voici le compte-rendu de la présentation d'Anne Thauvin, tel qu'il a été écrit et publié par France Stratégie pour le compte de la plateforme nationale RSE :

(j'ai surligné en jaune des passages qui me paraissent intéressants ou importants)

La loi du 10 juillet 2014 s’appuie sur la proposition de loi déposée par le député Savary en Décembre 2013. Discutée avec le Ministère du travail, elle propose une sur-transposition de la directive d’exécution en matière de détachement des travailleurs publiée en mai 2014. Elle vise ainsi à lutter contre la concurrence sociale déloyale, alors que les fraudes autour des travailleurs détachés étaient en augmentation : non-respect du paiement du salaire minimal, des durées maximales de travail ou encore conditions d’hébergement déplorables. Elle confronte alors deux droits : le droit social du détachement et le droit du travail.

Cette loi va plus loin que la directive d’exécution sur le détachement en bâtissant une responsabilité solidaire en cas de non-paiement des salaires qui s’applique à tous les secteurs professionnels, et non au seul secteur du bâtiment. De plus, le régime de responsabilité est étendu à l’ensemble des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordres, quel que soit leur rang dans la chaîne de sous-traitance : la responsabilité n’est donc pas limitée au cocontractant direct. Ainsi, il est possible de poursuivre le donneur d’ordre pour des fraudes relevant d'un de ses sous-traitants. Cette disposition s’applique à l’ensemble des salariés, qu'ils soient ou non détachés.

Il s’agit d’une obligation de moyen et non de résultat : s’il est prévenu par l’inspection du travail que les salariés détachés d’un sous-traitant ne bénéficient pas des dispositions légales ou conventionnelles en matière de salaire minimum, le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage devra lui demander de régulariser la situation. La responsabilité du DO ou du MO n’est ainsi engagée qu’à la demande d’un agent de contrôle et s’il ne remplit pas son obligation d’injonction ; il n’y a pas de mécanisme automatique.

La loi vient aussi compléter l’arsenal législatif français en matière de lutte contre les fraudes au détachement, en instaurant d’autres régimes de responsabilité solidaire :

  • L'employeur, qui détache un ou plusieurs salariés, doit adresser, préalablement au détachement, une déclaration à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation et lui désigner un représentant pour l'entreprise. Cette déclaration est également annexée au registre unique de l'entreprise d'accueil des salariés détachés.
Le donneur d'ordre doit vérifier auprès de son prestataire de services qui détache des salariés qu'il a bien rempli ses obligations de déclaration. La "méconnaissance" par l'employeur de ses obligations en matière de détachement est passible d'une amende de 2000 € par salarié dans la limite de 10 000€. La loi Macron prévoit un déplafonnement.

  • Lorsqu’un sous-traitant héberge collectivement ses salariés (détachés ou non) dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est tenu, à la demande d’un agent de contrôle, de prendre en charge un nouvel hébergement, à moins que l’employeur n’ait régularisé par lui-même la situation.
  • Lorsqu’un sous-traitant ne respecte pas les dispositions essentielles (matières du « noyau dur » du droit du travail énoncées par la directive détachement de 1996) énumérées à l’article L.1262-4 du code du travail (salaire minimal, durée du travail, règles relatives à la santé et à la sécurité, etc.), le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre doit, en cas d’alerte par un agent de contrôle, faire cesser la situation. Le non-respect de cette obligation de diligence est puni d’une sanction pénale contraventionnelle.
La loi du 10 juillet 2014 a également institué une peine complémentaire prononcée par un juge pénal en cas de condamnation pour travail illégal de diffusion de cette condamnation sur un site internet.

Enfin, la France espère que l’ensemble des autres pays européens iront sur cette de voie de la responsabilité solidaire. Un membre souligne alors qu’il faudrait évaluer l’impact de ces mesures sur la compétitivité du tissu français par rapport à ses voisins.

D’autres soulignent l’importance de l’inspection du travail dans le processus, et s’inquiètent d’un manque de moyen humain. Anne Thauvin mentionne la réforme en cours de l’inspection du travail, avec notamment la mise en place de cellules régionales du travail illégal qui vont permettre de lutter plus efficacement car collectivement contre le travail illégal et les fraudes au détachement."

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Crédit photo : Flickr fdecomite





jeudi 5 mai 2016

Engie : carton rouge RSE



"Carton rouge pour Engie, l’ex-GDF Suez. Suspecté de mener une guerre des prix dévastatrice et de vendre à perte une partie de son gaz, le numéro un français du secteur se voit sévèrement rappelé à l’ordre. Dans une décision rendue en urgence lundi 2 mai, l’Autorité de la concurrence somme le groupe détenu en partie par l’Etat de mettre fin à ces pratiques." Peut-on lire dans le Monde du 2 mai 2016.

Depuis 2014, Engie, nouveau nom de GDF Suez et héritier de l'ex monopole public gazier français, aurait vendu à perte, sur le marché de la fourniture du gaz aux entreprises. C'est ce qu'a identifié L'autorité de la concurrence, après l'étude d'une cinquantaine de gros appels d'offre.

Extrait du communiqué de presse de la dite Autorité
"l'Autorité de la concurrence a considéré, au vu des éléments du dossier connus à ce stade, qu'Engie avait fixé les prix de ses  offres de marché individualisées, c'est-à-dire hors catalogue, réservées aux entreprises, sans tenir compte de ses coûts réels, au risque de mettre en place des prix prédateurs ou d'éviction. En conséquence, et dans l'attente de sa décision au fond, l'Autorité a imposé en urgence à Engie de respecter différentes mesures afin que les prix de ces offres reflètent mieux la réalité de ses coûts."

Décryptage RSE : la vente à perte contredit une des questions centrales de la norme ISO 26000 : la loyauté des pratiques  (question numéro 5). L'un des axes d'application de la loyauté des pratiques est précisément la concurrence loyale, nous dit (nous rappelle) le cadre de référence ISO 26000. Cette concurrence loyale impose de ne pas vendre à perte.

Hélas. Dans le cas d'un acteur qui a une position dominante sur un marché, quand ce marché s'ouvre à la concurrence, comme c'est le cas pour la fourniture de gaz aux entreprises, la vente à perte est évidemment la tentation commerciale la plus brûlante : c'est la politique de "pricing" la plus efficace... L'arme fatale pour conserver des clients, évincer des concurrents, rafler des gros marchés !

C'est une différenciation par les prix, mais excessive car déloyale : Seul un acteur assez solide peut se le permettre, grâce à ses profits réalisés sur d'autres segments de clientèle, par exemple (ou par l'endettement).

Dans le cas d'une politique RSE exigeante et d'un industriel leader sur son marché, on peut donc s'attendre à ce que la vente à perte soit un élément placé "tout en haut de la pile" : un enjeu clé de la RSE. 

Et tant pis cela devient un point de tension particulièrement chaud entre les objectifs RSE et les objectifs commerciaux, entre les équipes commerciales (et financières) et les équipes de la RSE et de l'éthique.

Dans le cas d'Engie, il semble bien que la RSE ait perdu face aux impératifs commerciaux .... 

Il serait intéressant de savoir à quelle niveau de management cette politique commerciale aurait été décidée. Les forces vives de la RSE Engie et/ou son comité d'éthique avaient-elles rappelé au board l'entrave aux principes ISO 26 000 et le risque qu'une vente à perte représente ?





mercredi 20 avril 2016

Travail détaché : nouvel enjeu de RSE ?

Le 22 mars 2016, l'émission Cash Investigation d'Elise Lucet a diffusé un reportage sur les conditions de travail effroyables de travailleurs européens détachés sur un chantier d'EDF, à Dunkerque. Le travail détaché est-il amené à devenir un enjeu important de la RSE, en particulier dans les secteurs du BTP et du transport ** ? Tout porte à le penser, s'il est vrai que la RSE est une chose sérieuse.


D'après la doctrine de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) et d'après son cadre de référence ISO 26.000, les donneurs d'ordre et les maîtres d'ouvrage doivent se préoccuper des conditions de travail dans leur chaîne d'approvisionnement et donc chez leurs sous-traitants. Ils doivent aussi aller plus loin que le strict respect de la légalité (qui n'est que le socle « de base » de la RSE). En particulier pour les travailleurs détachés, victimes de discriminations ? A en juger par l'enquête de Cash Investigation sur le chantier EDF du terminal méthanier à Dunkerque, cette question est largement éludée.



Le débat public : dumping social et chômage
En général, la question des travailleurs détachés - environ 230.000 personnes en France - est abordée sous deux angles. Premièrement, celle du dumping social : il y a du dumping social avec le travail détaché, puisqu'il permet aux employeurs de payer les cotisations sociales du pays d'origine, des cotisations qui sont plus faibles qu'en France. C'est un dumping social légal. Deuxième angle, le travail détaché contribue au chômage en France. Sur le chantier d'EDF par exemple, il n'y a que 27% de travailleurs français, alors que les chômeurs alentour abondent... Ce à quoi certains répondent, comme dans cet article du Figaro : « certaines entreprises françaises doivent faire appel aux travailleurs détachés faute de main-d'oeuvre locale volontaire pour effectuer des tâches souvent pénibles. » On peut admettre que cela soit en partie vrai, et passer aux questions qui concernent la RSE : celle de la qualité de travail et de la discrimination chez les travailleurs détachés.


Premier enjeu RSE : des conditions de travail déplorables
« Ce qui nous importait, c’était aussi de montrer l’exploitation de ces ouvriers étrangers, qui travaillent parfois jusqu’à 60 heures par semaine dans des conditions indignes et pour des salaires dérisoires », explique Sophie Le Gall, la journaliste qui a réalisé l'enquête pour Cash Investigation.

Sur le chantier de Dunkerque, qui est l'un des plus importants chantiers industriels de ces dernières années en France, des ouvriers étrangers confient être moins bien payés que leurs homologues français. Ils sont logés dans des mobile homes parfois insalubres dans des campings voisins et certains sont contraints d'effectuer des tâches illégales. L'un d'entre eux en est mort, en 2014.

Travailleurs détachés : une minorité discriminée ?
Qu'ils soient roumains, polonais ou portugais, ils sont plus vulnérables et davantage à la merci des sous-traitants sans scrupule, comme l'italien SICES group . C'est ainsi qu'à Dunkerque plusieurs salariés détachés ont eu sur leurs bulletins de paie des retenues totalement abusives. SICES a depuis été condamné à les indemniser. Plus grave encore : un malheureux salarié portugais a été retrouvé mort asphyxié en juillet 2014. D'après ses collègues (minute 25), il aurait été obligé par son employeur d'entrer dans un tuyau pour le nettoyer, alors même que cela était interdit par les règles de sécurité du chantier. Une enquête est en cours, reconnait Marc Girard, le responsable du site pour EDF, qui se retranche derrière la responsabilité ... de son sous-traitant.

A ce propos, il faut visionner le témoignage de ce malheureux responsable du terminal méthanier chez EDF. Instructif, certainement. Affligeant ? A vous d'en juger.

Du point de vue de la RSE, une conclusion s'impose : dans les secteurs comme le BTP où les travailleurs détachés pèsent fort, leur sort est désormais à surveiller comme celui des autres minorités. Et pourquoi pas des indicateurs d'accident du travail spécifiques et des contrôles des heures supplémentaires ?

Pourquoi pas, aussi, des audits surprise ? En Chine, Apple avait été mis en cause pour des conditions de travail effroyable (dont heures abusives) chez son sous-traitant Foxconn, ce qui l'a poussé à organiser des audits via la Fair Labor Association. Au Bangladesh, même chose, après le scandale du Rana Plaza, chez les sous-traitants d'Auchan et d'H&M. Pourquoi pas sur les chantiers français ?

Il faudrait pour cela que le sujet soit pris au sérieux par l'écosystème de la RSE et de l'Investissement socialement responsable (ISR)… Et qu'il devienne ainsi « matériel » ***. Dans le secteur du BTP, matériel, non seulement ça a du sens, mais il en va aussi de la crédibilité de la RSE.




** Les autres entreprises sur lesquelles Cash Investigation a enquêtées sont Geodis, filiale de la SNCF (chauffeurs détachés), et Bouygues Travaux Publics (délit de travail dissimulé via le sous-traitant bandit ATLANCO).

*** Le mot "matériel" est employé dans la sphère de la finance et dans celle de la RSE pour identifier un enjeu qui a de l'importance (en simplifiant).



mardi 2 février 2016

Plateforme nationale sur RSE : missions et séminaires 2016

RSE comme Responsabilité sociétale des Entreprises. En juin 2013, Jean-Marc Ayrault réunissait les premiers représentants de la plateforme nationale d'actions globales pour la RSE. Il répondait ainsi à la demande d'entreprises, d'ONG et de syndicats, qui souhaitaient une plateforme de concertation multi-parties prenantes, autour de la RSE. 

Deux ans et demi plus tard, cette plateforme regroupe une quarantaine d'organisations qui représentent les entreprises, les ONG et associations, syndicats de travailleurs, chercheurs et les services de l'Etat ... Deux ans et demi plus tard, le le 21 décembre, une lettre de mission du premier ministre au commissaire général à la Stratégie et à la Prospective (France Stratégies) lui demande, en tant qu'interlocuteur de l'Etat pour la plateforme RSE, de conduire 3 missions pour 2016 :

1. Mise à jour du plan national d'actions prioritaires pour la RSE que demande la commission européenne à chaque Etat membre,

2. Contribution à l'élaboration du contenu des mesures de vigilence (due diligence) que mettent en place les entreprises, conformément au cadre établi par John Ruggie pour l'ONU

3. Préparer la contribution de la France sur les "chaines d'approvisionnement mondiales" en vue de la conférence internationale du travail de juin 2016.

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Signe que les choses bougent au sein de la plateforme, elle vient aussi d'annoncer le lancement d'un cycle de séminaires intitulé « L’état des savoirs et controverses scientifiques sur les enjeux actuels de la RSE ». Ce cycle est une initiative de scientifiques membres du collège « Chercheurs & Développeurs ».

Comité scientifique :
  • Jean-Pierre Chanteau (université Grenoble-Alpes, RIODD)
  • Kathia Martin-Chenut (CNRS, équipe RSE de l’UMR DRES CNRS/UNISTRA)
  • René de Quenaudon (Université de Strasbourg, équipe RSE de l’UMR DRES CNRS/UNISTRA)
  • Nicolas Mottis (ESSEC, Ecole Polytechnique)
  • Béatrice Bellini (Université Paris-Ouest, Conférence des présidents d’université)
  • Franck Aggeri (Mines ParisTech, CGS).

Programme 2016

« Parler ou non de compétitivité quand on parle de RSE ? »

Date : 10 février 2016 (9h-12h).
Lieu : Ecole des Mines (salle des colloques),
60, bd Saint-Michel 75006 Paris (M° Luxembourg).
Intervenants : Franck Aggeri (Mines ParisTech, CGS) et Nicolas Mottis (ESSEC, école Polytechnique).

« Quelle(s) finalité(s) de l’entreprise ? »

Date : mars 2016 (date en attente de confirmation)
Lieu : Ecole des Mines (salle des colloques),
60, bd Saint-Michel 75006 Paris (M° Luxembourg).
Intervenants François-Guy Trébulle (Université de Paris I) et Stéphane Vernac (Université de Picardie).

« Les dilemmes du développement durable :comment concilier de façon équitable les conflits d’intérêts sans sacrifier les priorités d’un développement durable ? »

Date : mars 2016  (date en attente de confirmation)
Lieu : Ecole des Mines (salle des colloques),
60, bd Saint-Michel 75006 Paris (M° Luxembourg).
Intervenant : René de Quenaudon (équipe RSE de l’UMR DRES – CNRS/Université de Strasbourg).

« La RSE doit-elle être juridicisée et judiciarisée ? »

Date : avril 2016. (date en attente de confirmation)
Lieu : Ecole des Mines (salle des colloques),
60, bd Saint-Michel 75006 Paris (M° Luxembourg).
Intervenants : Kathia Martin-ChenutRené de Quenaudon (équipe RSE de l’UMR DRES – CNRS/Université de Strasbourg) et Nicolas Cuzacq (université Paris-Créteil, ESG).

« Pourquoi existe-t-il plusieurs conceptions et pratiques de la RSE, et jusqu’où peuvent-elles coexister »

Date : mai 2016. (date en attente de confirmation)
Lieu : Ecole des Mines (salle des colloques),
60, bd Saint-Michel 75006 Paris (M° Luxembourg).
Intervenant :   Nicolas POSTEL (Clersé, Lille 1)
Plus de détails ici :