dimanche 9 mars 2014

L'Institut Godin décrypte l'innovation sociale

C'est une contribution utile aux débats actuels sur ce qu'est l'innovation sociale, qui dessine une perspective, voir une hiérarchie, ancrée dans la tradition de l'économie sociale à la française, une tradition qui préfère le collectif à l'individuel... et qui se méfie parfois un peu (trop?) de la figure de l'entrepreneur social.


« L'innovation sociale, principes et fondements d'un concept », publié fin 2013 aux éditions L'Harmattan, présente la synthèse d'une recherche collective lancée en 2011 par l'Institut Godin d'Amiens. Les auteurs sont Nicolas Chochoy, directeur de l'Institut Godin, ainsi qu'Emmanuelle Besançon et Thibault Guyon, tous deux doctorants en économie au CRIISEA d'Amiens.

Créé en Picardie en 2007, cet Institut atypique se consacre à la recherche appliquée dans l'économie sociale et solidaire. Il tire son nom de l'industriel social Jean-Baptiste Godin, créateur d'une fabrique de poêles en fonte en 1848 et d'un fameux « familistère » inspiré du fouriérisme.

Le livre est le fruit de la deuxième recherche collective menée par l'Institut, après celle sur les pratiques solidaires, qui avait débouché sur un tableau de bord des pratiques solidaires.

Pour ce deuxième travail, la feuille de route était d' « appréhender, caractériser et définir » l'innovation sociale. A l'arrivée, il en découle, via cet ouvrage, à la fois une synthèse des théories récentes sur l'innovation sociale, telles qu'elles ont été développées par des chercheurs en sciences sociales (et pas seulement celles de l'inévitable EMES) et une théorie, presque un idéal-type d'innovation sociale : l'innovation institutionnaliste.

Bref c'est une lecture stimulante, pour tout acteur ou chercheur qui s'intéresse aux innovations sociales. Une lecture à compléter, certainement, par un nouvel ouvrage qui sortira prochainement (le 15 avril) : « L'innovation sociale - Les marches d'une construction théorique et pratique » - Benoît Lévesque, Juan-Luis Klein, Jean-Marc Fontan, Collectif, Presses de l'Université du Québec.


Conclusions à retenir de l'idéal-type "innovation sociale institutionnalisée"
La nouveauté de l'innovation sociale résiderait « dans la mise en oeuvre de pratiques en rupture avec les pratiques habituelles dans un milieu donné (le changement institutionnel). La dimension sociale prend forme dans un processus collectif marqué par des pratiques solidaires constitutives d'un ancrage territorial fort et de façon concomittante d'une gouvernance élargie et participative (empowerment), se traduisant par un modèle économique pluriel ». Le produit ou service produit se distingue par son accessibilité (traduction : tarifs indexés ou adaptés sur les revenus, disponibilité au plus près des usagers...). Les résultats sont « porteurs d'impacts directs et de changements institutionnels » au niveau des individus, des organisations, du territoire et des collectivités.

La suite de mon billet de blog est une fiche de lecture partielle de l'ouvrage...

Après avoir distingué, dans le premier chapitre, les traits distinctifs de l'innovation technologique et de l'innovation sociale (voir la note en fin d'article), les auteurs dessinent, en s'appuyant sur des travaux de recherche pré-existants en France et au Québec (l'EMES, CRISES, l'IFRESI, Nadine Richez-Battesti, Jean Hillier...) quatre approches de l'innovation sociale : entrepreneuriat social de type Ashoka, innovation sociale portée par les pouvoirs publics pour moderniser les services publics, approche « latine » conceptualisée par le réseau EMES et approche institutionnaliste, qui poursuit et complète celle de l'EMES.

En réalité, ces quatre approches ne sont pas si étanches l'une de l'autre que le livre pourrait le faire accroire et nombre d'innovations sociales pourraient sans doute entrer dans l'une ou l'autre simultanément. A cet égard, il est assez regrettable que le livre manque d'exemples pour illustrer les différentes approches d'innovation sociale qui sont présentées. C'est en fait la limite principale du livre : il est plus une méta-étude qu'une étude, sa thèse n'étant illustrée que par deux exemples d'innovations sociales étudiés par l'Institut Godin (sur l'approche institutionnaliste).

Il n'empêche, le gros intérêt du livre est, à mes yeux, de mettre en avant des différences d'approche, voir une hiérarchie à travers la mise en avant de l'approche institutionnaliste de l'innovation sociale. Celle-ci se distingue par la place accordée à des « pratiques solidaires » et par une volonté de changement institutionnel. Elle constitue, me semble-t-il, un horizon ou, pourrait-on dire, une boussole (parmi d'autres?) utile à tout faiseur d'innovation sociale.

Le livre propose aussi une méthodologie d'évaluation de l'innovation sociale, destinée aux acteurs de l'ESS. Celle-ci englobe l'analyse des pratiques de l'organisation, l'identification des impacts directs et l'analyse des changements. Les deux exemples pris sont la recyclerie du Pays de Bray et le projet de santé communautaire Initi'elles : j'invite le lecteur qui serait professionnel ou féru d'impact et d'évaluation sociale à se procurer le livre pour en savoir plus sur le sujet.

Approche une : l'entrepreneuriat social
Cette approche, qui est celle du réseau Ashoka, a deux traits forts : elle est centrée sur la figure de l'entrepreneur (homme d'action, leader, qui prend des risques....) et elle s'appuie sur des ressources marchandes, une activité lucrative. Rappelons que la figure centrale d'Ashoka est effectivement celle du « changemaker » cher au fondateur du réseau, Bill Drayton.

Approche deux : le « new public management »
Elle envoie à la volonté d'acteurs publics de moderniser des politiques publiques, dans un objectif de baisse des coûts et des budgets publics. C'est en quelque sorte l'approche du projet de Big society porté par David Cameron au Royaume-Uni (cet exemple n'est pas cité dans le livre). Elle va de pair avec la diffusion des méthodes de gestion privées et la quête de performance quantitative : le « new public management ». Au risque de mettre à mal les dimensions solidaires et le pouvoir d'émancipation, ce que Jean-Louis Laville appelle la dimension politique, de l'économie sociale.

Trois : l'approche entrepreneuriale latine
Cette approche « latine » est celle qui a été développée par le réseau EMES. Elle « souligne les dimensions non lucrative, collective et démocratique des entreprises sociales », nous dit Emmanuelle Besançon. L'approche s'appuie sur les traditions européennes du mouvement coopératif, voir associationniste (pour la France), plus que sur celle de l'entrepreneur ango-saxon. Elle élude la question du leadership et le fait que dans la plupart des coopératives, il y a souvent un, ou un noyau, de « meneurs » (et un visionnaire).

Quatre : L'approche institutionnaliste : la solidarité au coeur
Cette approche « englobe et dépasse » l'approche de l'EMES en concevant l'innovation sociale comme un « système territorialisé et levier de transformation sociale » (page 49). C'est donc ce que j'appelle l'idéal-type promu par les auteurs du livre.

Mais qu'est ce qui fait l'identité propre de cette approche ? Il y a donc d'abord l'idée qu'elle place les pratiques solidaires au coeur de la démarche.

C'est, écrivent les auteurs, une hypothèse structurante de leur travail : « les pratiques porteuses d'innovation sociale peuvent être qualifiées de pratiques solidaires dès lors qu'elles font intervenir des principes relevant de la solidarité tels que la justice, la démocratie, la réciprocité, la proximité, etc ».

Ces pratiques ne sont pas cantonnées par un statut et peuvent être portées par tout type d'organisation, précisent les auteurs, « bien que l'ESS apparaisse comme un vivier essentiel ».

Il y a ensuite la volonté de transformation sociale. Il s'agit de l'«éventuelle évolution des pratiques et représentations dont ils peuvent être à l'origine auprès des autres acteurs de l'économie ». Mais aussi, de la transformation des politiques publiques et sociales.

Parmi les autres idées clef, il y a enfin, me semble-t-il, celle-ci : l'innovation sociale tient autant au processus de son émergence et de son déploiement (ou diffusion) qu'à ses résultats (produits, services créés) et qu'à ses impacts.

« En matière d'innovation sociale, le processus est tout aussi important que le résultat » (P. 113)

Processus ? A ce niveau, l'innovation sociale est avant un processus territorialisé qui fait interagir et coopérer des acteurs localement. Il s'agit d'une part d'une mise en réseau d'acteurs, voir de groupes sociaux hétérogènes, et d'autre part d'un participation dans une logique d' « empowerment », autrement dit la prise d'autonomie et la participation des usagers.

Cette conception s'appuie sur les travaux du géographe Guy Di Méo (2006), et permet de distinguer dans l'innovation sociale non seulement une production de cohésion sociale, mais la production même du territoire local dans une perspective patrimoniale : un patrimoine socio-culturel commun, construit ensemble.

C'est peut-être là que réside le défi le plus considérable de l'innovation sociale : faire coopérer des groupes sociaux pour arriver à une vision partagée d'un avenir à construire ensemble, sur des territoires donnés.


Pour en savoir plus :

Institut Godin
03 22 72 49 53


Note 1 : L'innovation sociale serait surtout issue « d'une pression sociale et politique, ou encore environnementale » alors que la première (technologique) est issue de la pression du marché et de la concurrence. D'autre part, elle serait davantage immatérielle, davantage axée sur des nouvelles pratiques.


vendredi 7 mars 2014

Huile de palme : le classement UCS

De Danone à L'Oréal, 30 marques sont évaluées par l'Union of Concerned Scientists (UCS) sur leur politique pour ou contre l'huile de palme. Parmi les plus mauvais élèves figurent l'industrie du fast food et Kraft foods / Mondelez .


L'Oréal, pour la cosmétique et Nestlé, pour l'agroalimentaire, sont les entreprises les plus actives pour lutter contre la déforestation causée par l'huile de palme. Toutes les chaînes de fast food sont par contre à la traîne, avec des engagements minimalistes. C'est l'analyse faite par la très sérieuse Union of Concerned Scientists. Elle a noté 30 entreprises sur 5 registres principaux, dans un rapport publié ce mois-ci, en mars 2014.

Il remet les pendules à l'heure puisque le classement ne se contente pas des engagements pour s'approvisionner en huile "certifiée durable" par la plateforme RSPO (responsible palm oil). Cette huile de palme certifiée constitue aujourd'hui seulement une base d'engagement, rien qu'un premier pas : désormais les entreprises sont invitées à s'engager sur les forêts à haute valeur carbone, sur les zones humides (peatlands) et sur une transparence de leur chaîne d'approvisionnement.

Ceci étant, même la certification RSPO, qui est donc vue par les ONG et UCS comme un premier pas, est loin d'être généralisée : PepsiCo par exemple, n'aurait que 17% de son huile de palme certifiée RSPO actuellement....

En France, un groupe d'entreprises se sont engagées, en septembre 2013, à 100% d'huile de palme RSPO d'ici 2015.

Cosmétique et parapharmacie :





Fast food :



Agro-alimentaire :





L'UCS a été créée en 1969 par des étudiants du MIT.

http://www.ucsusa.org/global_warming/solutions/stop-deforestation/palm-oil-scorecard.html