jeudi 12 décembre 2013

Impact Santé du Changement Climatique

Comment le changement climatique va-t-il affecter la santé ? On pense tout de suite à la malnutrition, du fait des sécheresses (production agricole en berne, pénurie d'eau), mais il y a aussi l'augmentation des maladies infectueuses et d'agents pathogènes du fait de la hausse des températures et des évènements extrêmes (inondations, etc). Panorama de ces impacts par cette belle infographie réalisée par le site masters-in-health-administration.com



Pour voir l'infographie, cliquer dessus ou aller sur le site stories.350.org

S'il y a un nouveau métier que j'aime bien, c'est bien celui de journaliste infographiste. A la frontière de l'infographie et du journalisme de données, il concrétise l'adage : un dessin vaut mieux qu'un beau discours ! Pour un adepte de la plume, c'est une sacrée leçon de clarté.


jeudi 28 novembre 2013

Accord de commerce UE USA (TTIP) : le péril chimique

Ce sera « le plus gros traité de commerce au monde », d'après le site web de la commission européenne. En négociation depuis juillet 2013, le «Transatlantic Trade and Investment Partnership » (TTIP) veut harmoniser les règles réglementaires des deux côtés de l'Atlantique. Autrement dit, faire sauter des barrières non douanières au commerce. De plus en plus de voix dénoncent l'opacité des négociations et les risques qu'il fait peser sur la souveraineté des Etats européens et sur la réglementation européenne. Risque réel, ou intox ? En ligne de mire des négociateurs américains, il y a en particulier le règlement Reach sur les produits chimiques, ennemi à abattre.

 My tailor is reach

Alors que le deuxième round des négociations entre la commission et les USA vient de s'achever le 15 novembre et que le cycle suivant est prévu à Washington en décembre, des voix s'élèvent pour mettre en garde contre le « Partenariat pour le commerce et l'investissement transatlantique», TTIP en anglais, qu'avaient lancé Obama, Barroso et Van Rompuy en février 2013. Derrière l'objectif mirifique de faire de la relation économique entre l'Europe et les USA « un plus grand moteur de prospérité », ce traité menacerait en réalité la souveraineté européenne, par exemple l'encadrement des OGM et des produits chimiques. Qu'en est-il vraiment ?

Le sujet : s'attaquer aux barrières non douanières
Le but du traité n'est pas de diminuer les taxes douanières entre l'Europe et les Etats-Unis : celles-ci ont déjà été laminées par les cycles de négociations du GATT, comme l'Uruguay Round au point qu'elles ne sont plus que de 4% en moyenne. Cette fois, il s'agit de lutter contre ce que les experts appellent les barrières non tarifaires au commerce : normes sanitaires et environnementales. Par exemple le règlement Reach sur les produits chimiques.

L'intérêt : générer du PIB
« Des recherches indépendants montrent que le TTIP pourrait accroître l'économie européenne de 120 milliards d'euros par an et l'économie américaine de 90 milliards. (…) Jusqu'à 80% de ces gains globaux viennent de réductions de coûts liés à la bureaucratie et aux régulations, ainsi que de la libéralisation du commerce des services et des achats publics » (source : site web de la commission européenne).

Et le communiqué de la commission issu du deuxième round de négos (novembre 2013) ajoute :
« Les secteurs dans lesquels à la fois les USA et l'Europe souhaitent développer la compatibilité réglementaire sont : les appareils médicaux, les produits pharmaceutiques, les produits chimiques, les pesticides, les technologies d'information et de communication. Plus de secteurs pourront être discutés lors du prochain round en décembre ou plus tard ».

Ces éléments étant posés, passons en revue les sujets qui fâchent, en reprenant deux blocs de critiques récents, celui formulé par l'ONG Ecologie sans frontière (publié par l'Express) et celui d'un article de presse hollandais, relayé par Press Europ.

OGM
« Les multinationales américaines et canadiennes pourront exporter dans l'UE des viandes hormonées ou chlorées, des OGM ou encore de produits comportant des pesticides dont l'utilisation est actuellement interdite », écrivent Franck Laval et Sophie Bourges d'Ecologie sans Frontière, dans l'Express.

Vraiment ? Pas si sûr : à la question de savoir si l'UE sera obligée de changer ses lois sur les OGM, les FAQ de la commission sur le traité, en ligne sur le site de Bruxelles, sont claires : « Non, pas du tout. Les lois de base, comme celles sur les OGM et celles qui protègent la vie humaine, la santé animale, le bien-être, l'environnement et les intérêts des consommateurs ne feront pas partie des négociations ».

Verdict : une double contradiction. D'une part le traité s'intéresse aux produits chimiques, donc aux pertubateurs endocriniens donc à la santé humaine. D'autre part les OGM en sont bien exclus et l'ONG force donc le trait (elle a raison d'être vigilante).  

Energie
« C'est notamment l'interdiction de la fracturation hydraulique qui ne pourra pas résister longtemps aux entreprises du secteur énergétique », disent les deux compères d'Ecologie sans frontière.

Là, ils crient au loup un peu trop vite... Car on voit mal la France signer un traité anti-constitutionnellement. En France, la fracturation hydraulique est interdite par une loi de juillet 2011, confirmée récemment par le conseil constitutionnel. Si ce blocage saute, ce ne sera pas à cause de ce traité, mais d'un revirement de l'opinion française (c'est mon opinion).

Trop d'arbitrage à venir
Le loup a été levé par le journal hollandais NRC Handelsblad, traduit en français par le site Presseurop . Les négociations porteraient aussi sur le renforcement du mécanisme d'arbitrage. L'arbitrage ? Ce sont ces procédés jurifiques qui permettent aux grandes entreprises d'attaquer les Etats devant des tribunaux d'arbitrage, pour préjudice ou atteinte aux principes de libre concurrence. Par exemple, « quand l’Allemagne a décidé après la catastrophe de Fukushima de cesser de recourir à l’énergie nucléaire, la société suédoise Vattenfall a invoqué un traité d’investissement bilatéral pour réclamer 700 millions d’euros », écrit NRC Handelsblad.

Si l'UE accepte la généralisation de l'arbitrage dans le cadre du traité TTIP, « Nous jetons notre souveraineté en pâture", estime Monique Goyens, la directrice du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC, 43 associations membres dont UFC Que choisir), interrogée par ce journal.

Un vrai sujet donc et un vrai péril, que l'arbitrage.

Chimie : Reach, l'ennemi à abattre ?
Affaiblir Reach, c'est certainement un des gros enjeux des négociations. Reach ? C'est le règlement européen « Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals ». Entré en vigueur en 2007 il impose aux fabricants de produits chimiques de notifier les composants chimiques qu'ils utilisent, en spécifiant leur degré de dangerosité (perturbateurs endocriniens, par exemple, ou gentilles molécules). Le règlement, bien qu'il soit complexe et sans doute un peu trop bureaucratique dans sa mise en oeuvre, est largement reconnu, en Europe, comme une avancée majeure vers plus de transparence et de maîtrise des risques chimiques. Oui mais aux USA, la vision est loin d'être la même.

D'après la plus grosse association d'entreprises chimiques aux USA, la Society of Chemical Manufacturers and Affiliates (SOCMA), Reach est ni plus ni moins que « la plus grosse barrière commerciale européenne pour les petits et moyens producteurs chimiques américains » (selon le site Environmental Leader

De fait dans un communiqué de presse daté du 20 novembre et faisant référence aux négociations en cours, la SOCMA, qui regroupe par exemple des filiales américaines d'Air Liquide et de BASF, déclare que « Reach, qui est fondé sur le principe de précaution au lieu de l'approche américaine de la gestion de produits chimiques, fondée sur les risques, et la plus grosse barrière que les membres de la SOCMA ont devant eux pour exporter en Europe »

Face à ces intolérables barrières au progrès universel, la SOCMA appelle à la création d'un médiateur « ombudsman » pour faciliter l'accès des entreprises chimiques américaines aux marchés européens et à augmenter le personnel de l'agence européenne en charge de Reac, l'ECHA. (Créer des emplois publics !!)


Le mot clef de la fin : vision du monde, ou coopération
D'après la Commission européenne, « le mot clef (du traité) est la coopération réglementaire : créer des réglementations similaires plutôt que de devoir les adapter plus tard ».

Sur le papier, cela ne semble pas stupide, mais encore faudrait-il que les visions du monde soient partagées. Or sur les OGM, sur le port des armes à feu et on vient de le voir, sur le principe de précaution, c'est loin d'être le cas. Conséquence, la réglementation similaire risque bien de se transformer en plus petit dénominateur, ou en nivellement vers le bas.

Mais que les Européens se rassurent un peu :  puisque le projet de traité devrait être signé par les 28 pays de l'Union européenne pour pouvoir entrer en vigueur, et vu qu'il touche à des sujets sensibles dans l'opinion publique (OGM, perturbateurs endocriniens … ), on peut parier sans risque qu'il ne verra pas le jour. 

Et c'est ainsi que les hommes vivent...

mercredi 27 novembre 2013

Crowdfunding - Axa et Stéphane Courbit s'associent

 Après la Banque Postale, partenaire de KissKissBankBank et BNP Paribas mécène d'Ulule, c'est au tour d'Axa de se lancer dans le mécénat version financement participatif ("crowdfunding"). Mais contrairement à la marque jaune, l'assureur se limite aux projets solidaires et choisit My Major Company, une plateforme détenue à 50% par le parrain de la téléréalité française et des paris en ligne, Stéphane Courbit. Signe d'un changement d'échelle du crowdfunding ?




« Tous solidaires ! Tous les mois, AXA vous propose de voter pour vos projets préférés. Les trois projets arrivés en tête des votes bénéficieront d’un soutien financier d’AXA pouvant aller jusqu’à 60 % du besoin de financement». Annoncé le 20 novembre par un communiqué de presse au titre fanfaronnesque, AXA France réinvente les codes du mécénat par le biais du crowdfunding, ce nouveau partenariat confirme l'attrait en hausse du crowdfunding (financement participatif sur internet), y compris chez les grosses entreprises. Dans ce cas précis, le crowdfunding est un don, voir un don/contre don et non un prêt. Un acte de générosité, donc qui génère du business ? Oui, et de la bonne réputation (image) pour les entreprises mécènes.

KissKissBankBank, propulsé par les entreprises
Dès juin 2011, la plateforme française KisskissBankBank (KKBB), l'une des pionnières du don participatif (voir l'interview de Vincent Ricordeau dans le nouveau magazine Socialter), franchissait un cap en signant le premier partenariat du crowdfunding français avec une grande entreprise, la Banque Postale : depuis, la Banque sélectionne chaque mois un projet parmi une sélection « Coup de Coeur » sur le site KKBB, qu'elle soutient à hauteur de 50% de son objectif de collecte de fonds. Un beau coup de pouce.
Par la suite, KKBB a développé les partenariats de ce type avec toutes une série d'entreprises, de MK2 à Samsung, avec l'idée que le partenaire, appelé « mentor », aidera des projets proches de son coeur d'activité, y compris après la collecte de fonds. Par exemples certains courts-métrages sont projetés dans les salles MK2. Pour le porteur de projet, c'est bath !

Le mécénat participatif » d'Axa : du local et du solidaire
Dans le cas d'Axa, la logique est proche, mais distincte, comme me l'expliquait Céline Soubranne, la responsable RSE (Responsabilité sociale d'entreprise) de l'assureur : il s'agit d'aider exclusivement des projets « solidaires » (1), contrairement à la Banque Postale qui peut aider des projets purement  créatifs (2). Dans cette optique, c'est l'entreprise sociale Farinez-vous (une boulangerie en insertion) qui vient d'être sélectionnée au lancement du projet. Au total, 36 projets à utilité sociale seront soutenus, à raison de 3 par mois pendant un an et ce sont les internautes qui les choisiront : chaque mois les trois projets ayant reçu le plus de vote des internautes obtiendront entre 60% et 30% de leur demande de financement, directement d'Axa.

Mymajorcompany, un ancien du crowdfunding et un jeunôt de la solidarité
Pour monter cette initiative, AXA a mis 150.000 euros sur la table et s'est associée à My Major Company. Détenue à 50% par Stéphane Courbit, ancien directeur d'Endemol France (qui introduisit l'émission Loft story dans l'hexagone) et gros actionnaire de Bet Clic (poker en ligne basé à Malte), Mymajorcompany est un « vétéran » du financement participatif, créé en 2007,  mais un petit dernier du crowdfunding solidaire : jusqu'en 2012 l'entreprise se concentrait sur la co-production de chanteur.ses et ce n'est que récemment qu'elle a rejoint la vague du crowdfunding toutes catégories, de A comme Animaux à T comme Terroirs en passant par H comme humour et E comme Evasion fiscale.

Pardon, R comme réduction fiscale (restaurer les châteaux et autres bonnes oeuvres).

Et la vague solidaire ? « Quand nous les avons rencontré il y a neuf mois il étaient très contents car ils cherchaient à développer cette activité », précise Céline Soubranne, qui a donc permis au site d'ajouter « Axa Partager Protéger» à la liste des 32 catégories du site MMC. L'initiative s'appuie aussi sur un mini-site dédié, partagerproteger.axa.fr qui devrait être le vaisseau amiral de la « com », du côté de l'assureur.

Pour le porteur de projet, une aubaine ?
Alors que le régulateur français a récemment clarifié le cadre du crowdfunding et que les plateformes continuent de se multiplier à l'instar de Bulbintown (soutien à des projets hyperlocaux) ou de celle lancée par la coopérative éthique la NEF à Lyon, le partenariat entre Axa et Mymajorcompany confirme l'attrait du crowdfunding. Faut-il se réjouir de cet engouement, ou s'en effrayer ? Pour le porteur de projet cette pluralité augmente en théorie ses chances de se financer : pourquoi pas un appel à financement par an, à chaque fois sur une plateforme différente ? A supposer bien sûr que les Français ne se lassent pas de ce nouveau canal de générosité, autrement dit, que le « marché » de la générosité participative soit en hausse durable.

Le crowdfunding, un nouvel outil du consumérisme
Car c'est bien d'un marché qu'il s'agit, du moins pour certains de ses acteurs. Dans la lignée du « charity business », le crowdfunding pourrait devenir un vecteur de « consommation » philanthropique. C'est ce que laisse penser cette interview du directeur général de Mymajorcompany, Stéphane Bittoun.

Voici ce que Stéphane Bittoun, ancien directeur financier de la société de téléréalité Endemol, déclarait en janvier 2013 : « Notre pari c’est que le financement participatif continue de prendre une part de plus en plus importante dans les habitudes de consommation des Français et qu'à l’instar de ce qui se passe Outre-Atlantique une part significative du financement de la création en Europe soit directement apportée à travers notre système par le grand public » (cité par lepetitjournal, 22 janvier 2013).

Laissons le patron de Mymajorcompany continuer :
« L’Internaute MMC est avant tout une personne désireuse d’apporter sa collaboration à un projet et de participer à sa réalisation, à hauteur de ses moyens. Nombreux à être satisfaits, ces e-acheteurs constituent ainsi la deuxième richesse de My Major Company : une audience qualitative, attentive et fidèle qui passe en effet, 11 minutes en moyenne par session sur le site et visite environ 10 pages à chaque visite. Selon une enquête interne, 77% des ces contributeurs ne misent que sur un projet, on en jugera donc qu’il s’agit de leur "coup de cœur". La communauté est composée de près de 300.000 membres, au panier moyen de 50 euros et 4,5 millions de pages vues par mois. »

Et si à terme, Mymajorcompany devenait l'Amazon du crowdfunding ?
Et c'est ainsi que les hommes vivent.


Ajouté le 12/12/13 : Pour continuer le débat, ces deux autres questions :
- Les plateformes de crowdfunding sont-elles assez transparentes sur leur gestion financière ?

- Est-ce qu'il serait normal, d'un point de vue éthique, qu'une plateforme de crowdfunding se revende, en 2015, comme une start-up, avec une juteuse plus-value pour ses fondateurs ?

Note 1 - « Parce que la protection (?) et le développement solidaire sont l’affaire de tous, AXA vous propose chaque mois de soutenir vos projets favoris » (site partagerproteger.axa.fr)

Note 2 -  Alors que le partenariat Banque Postale / KKBB est du sponsoring, celui entre Axa et My Major Company est du mécénat : il finance donc exclusivement des projets d'intérêt général, et les dons sont déductibles des impôts pour Axa (note ajoutée le 28.11)

mercredi 13 novembre 2013

La Pêche de Montreuil se dévoile dans le 20ème

 Le 10 novembre, des créateurs de la nouvelle monnaie locale de Montreuil, la « Pêche », présentaient leur projet à Paris, dans le 20ème. Avec l'idée de planter une graine de l'autre côté du périph. Le terrain y est favorable.

Une heure de l'après-midi à l'angle de la rue Vitruve et de la place de la Réunion, dans le 20ème arrondissement de Paris. C'est jour de marché et les commerçants sont encore en train de servir sur la place, mais en ce dimanche du mois de l'Economie sociale et solidaire (ESS), l'oeil est attiré par des barnums blancs inhabituels. Une dizaine d'associations parisiennes, les Petits Débrouillards, les antennes locales de Môm'artre, Disco Soupe ou encore le club d'épargne solidaire Cigales, ont répondu présent à l'invitation du réseau d'échanges Coud à Coud, qui a organisé cette « Fête des échanges / Système D ». A cette heure de la journée les appétits se creusent, fouettés par le vent frais d'automne et c'est le stand des Disco Soupe, animé par sa joyeuse équipe, qui fait l'ambiance. Dans l'énorme soupière, il ne reste plus que les miettes du pain pour râcler le fond. A deux pas une autre soupière bouillonne et il reste de quoi faire avec la salade, concoctée elle aussi avec les légumes frais, sauvés de la poubelle des supermarchés voisins. La jeune fille qui sert est là pour la première fois, quant aux passants ils découvrent, étonnés, ce concept de cuisine participative gratuite qui fait la chasse au gaspi tout en rameutant le convivial. En face, une autre association propose un maffé pour les affamés, tandis qu'ailleurs des enfants s'adonnent à la peinture ou jouent aux échecs. Une belle ambiance.


Mais de l'autre côté de la fête, sur le stand de l'association éssé 20è, c'est un fruit d'un autre genre qui suscite mon intérêt : la pêche de Montreuil, nouvelle monnaie locale et complémentaire de la ville d'à-côté. Les monnaies complémentaires auraient-elles finalement trouvé leur époque et leur public ? Mais d'abord, que fait-elle à Paris, cette jeune pousse montreuilloise ? A peine créée elle veut essaimer ! «Oui, il suffirait d'une vingtaine de personnes motivées pour aller convaincre les commerçants, et on aurait ainsi la même monnaie locale des deux côtés du périph ! », argumente Marc Abel, l'un des dix « pêchus », les membres fondateurs du projet à Montreuil, venu présenter la monnaie aux Parisiens du 20ème. Bien que la Pêche soit encore au stade du projet, elle arrive portée par un intérêt nouveau des collectivités locales et des médias, (inimaginable il y a cinq ans). Alors qu'à Paris un autre projet de monnaie locale serait dans les limbes via l'association Paris des Faubourgs, dans le 20ème la Pêche a déjà suscité l'intérêt de plusieurs associations, comme éssé 20è. Une bonne graine, on vous disait.



La Pêche pour quoi faire ?
Les statuts de la nouvelle association spécifient trois buts à la nouvelle monnaie :
  • « remettre l’économie locale au service du social et de l’humain, au lieu d’une économie globale qui incite simplement à la spéculation et à la consommation.
  • établir un fonctionnement démocratique qui favorise son large développement à partir des bonnes pratiques des monnaies locales existantes.
  • favoriser, à partir de Montreuil, la diffusion de cette monnaie locale dans la région Ile-de-France. »

A l'origine de la Pêche, « Montreuil en transition »
En France, il existe désormais une vingtaine de monnaies locales complémentaires (MLC). Certaines sont soutenues activement par la puissance publique, comme la Sol Violette de Toulouse (2011) ou la Galléco de Rennes (2013). D'autres, plus indépendantes, sont créées par des associations proches des mouvements écologistes, comme l'Abeille de Villeneuse-sur-Lot, une monnaie fondante qui regroupe plus de 130 entreprises affiliées, ou par des mouvements régionalistes, comme la monnaie basque Eusko, qui compte près de 500 prestataires.

A Montreuil, un projet avait été lancé en 2008, il a fait long feu. En 2012 le collectif « Montreuil en transition », affilié au mouvement des villes en transition a relancé le projet et suscité l'engagement d'une équipe, laquelle a créé une association dédiée, en septembre 2013. Son objet ? Lancer et gérer la monnaie locale complémentaire à Montreuil puis autour en Ile-de-France. L'équipe, qui escompte une subvention de la mairie de Montreuil, vient d'obtenir 50.000 euros du Conseil Régional d'Ile-de-France, dans le cadre d'un appel à projets innovants ouvert aux monnaies locales.

Les traits distinctifs de la Pêche
  • elle est sur support papier (billets convertibles en euros) : c'est plus pédagogique, plus visible. Une version électronique ? Elle pourrait venir en deuxième phase, anticipe Marc Abel.
  • Non fondante : comme toutes les monnaies locales, la Pêche est destinée à circuler et à favoriser l'échange (et non la spéculation ni la rente) et dans cette optique elle pourrait être « fondante », c'est-à-dire perdre de sa valeur au fil du temps pour stimuler l'usage. Mais la fonte est plus facile à gérer quand la monnaie est électronique et sera mise en place, sans doute, dans un deuxième temps.
  • Elle est pro-associative : lors d'une conversion de la monnaie en euros, 3% sont prélevés au bénéfice d'une association locale affiliée (et 2% au bénéfice de l'association la Pêche, pour ses frais de gestion).

L'innovation sociale qui bouillonne
A discuter avec Marc Abel, un informaticien qui a découvert l'économie sociale et solidaire (ESS) via les motards en colère et qui est à l'origine de la cartographie du site http://peche-monnaie-locale.fr/ , un constat jaillit : la pêche elle bouillonne, comme la soupe des Disco ! Plein de projets et d'idées, à court et moyen terme, l'envie de créer un premier emploi "qui ne soit pas jetable" et un effet réseau indéniable. « On a piqué les bonnes idées là où il y en avait », raconte Marc, qui revient de Dinan, où se sont tenues les rencontres nationales sur les MLC. 

Quel seuil critique ?
Pour qu'une monnaie locale puisse durer, une centaine de familles et une trentaine d'entreprises participantes seraient suffisantes, à en juger par l'expérience de Villeneuve-sur-Lot. Si peu ? Ces monnaies sont locales et cela n'a pas de sens de prendre sa voiture pour aller aux assemblées générales, explique sans fard le motard. Le but n'est pas non plus de se passer de l'euro, ni de convaincre la ville entière, mais il s'agit de changer notre rapport à l'argent et aux échanges. A défaut de changer le monde, se changer soi-même...

A Montreuil-sous-bois, une trentaine de commerces ou professionnels devraient avoir signé au moment du lancement, début décembre. Et à Paris ? Affaire à suivre.


mercredi 30 octobre 2013

Biodiversité et forêt : valorisation

Ce qui n'a pas de prix n'a pas de valeur. Mais faut-il donner une valeur monétaire à la qualité de l'air ou de l'eau, aux services spirituels qu'offrent les forêts ? Du 21 au 22 novembre 2013, à Edimbourg, le World Forum on Natural Capital, première édition, va rassembler entreprises, chercheurs, scientifiques, autour de cette épineuse question.




La logique semble inexorable. Le monde du business, mais aussi des ONG et des scientifiques, fort du postulat que "ce qui n'a pas de prix n'a pas de valeur", va pousser à la valorisation des services écosystémiques. Ceux-ci sont légion, comme le montre cette infographie sur les forêts, publiée par le World Forum on natural capital.

Et après ? En terme de logique et d'état d'esprit, ce mouvement renforce la marchandisation du monde, c'est évident. Va-t-on finir par monétiser le service que notre pancréas fournit au métabolisme d'un être humain ? Il en découlera un marché du pancréas, lucratif pour.... certains courtiers d'organes ? Juste une analogie, à digérer.

Concernant la biodiversité, le risque était souligné, lors d'un colloque organisé par l'association Orée le 22 octobre, par Jacques Weber. Pour ce grand économiste iconoclaste, spécialiste de la biodiversité, attention, "boujour les dégats!". Weber discute en toute liberté avec les entreprises, mais il leur fait une mise en garde. Son point de départ étant le chantier qui débute à l'IPBES pour évaluer les services écosystémiques.

L'IPBES ? C'est la "Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques", qui a été mise en place en 2012.

Voilà ce que dit Jacques Weber : "l'IPBES veut faire des évaluations (des services rendus par les écosystèmes), calqués sur ce que fait le GIEC. Si le climat peut être modélisé sur 5 ou 6 variables, pour la biodiversité, ce n'est pas possible. Ce sera donc un échec, et que va faire l'IPBES ? Se tourner vers des économistes, qui vont dire : pas de problème, on va côter tout ça, mettre en bourse. Bonjour les dégats, car on retombera sur un marché sans règle".

(j'ai reformulé légèrement les propos du grand Jacques, mais le sens y est).

Faut-il alors un marché encadré ? Ou un encadrement sans marché ? Le marché encadré, c'était Kyoto et les crédits carbone, ça a fait long feu. L'encadrement sans marché, c'est l'option nationale : le Brésil fixe un objectif de non déforestation et crée une police pour faire respecter la règle. Ca marche un peu, quand le pays n'est pas trop corrompu. Bonne nouvelle, le Cambodge ou la RD Congo luttent à fond contre la corruption J


Sur les liens entre biodiversité et entreprises, on pourra lire ce nouveau livre édité par Orée  :
"La gestion de la biodiversité par les acteurs : de la prise de conscience à l'action"






mardi 29 octobre 2013

Il était une fois une forêt : master class

 A quinze jours de sa sortie en salle, le nouveau film de Luc Jacquet était projeté en présence de l'équipe, hier soir à Paris. Un débat s'ensuivit, sorte de « master class », détaillant la naissance du projet et les parti pris narratifs du créateur de la Marche de l'empereur. Jubilatoire.



Gros plan sur un crayon à papier en train de tracer une ligne sur une feuille blanche à dessin. Le crayon ébauche la courbe d'une feuille, puis cut ! Vision d'un homme seul dans une forêt, en train de dessiner. La caméra s'attarde un instant avant de s'éloigner à travers le sous-bois et de s'élèver lentement, comme un drône d'oiseau, suivant l'invitation des troncs d'arbres à grimper vers les hauteurs. Arrivée à la cime des géants verts, elle offre au spectateur le paysage époustouflant d'un océan de verdure, la forêt primaire.

A l'origine du projet, Francis Hallé
L'homme, c'est bien sûr le créateur du radeau des cimes, le biologiste Francis Hallé, protagoniste du nouveau film de Luc Jacquet et initiateur du projet. « Je les ai vu disparaître, les forêts primaires, à l'époque où j'ai commencé, dans les années 60, il y en avait partout. Il n'aurait pas été supportable de ne pas témoigner », explique Francis Hallé, en ce soir d'avant-première. Pour le biologiste, Luc Jacquet était l'homme de la situation.

De la marche de l'empereur à l'arbre Mohabi
Hallé n'est pourtant pas le premier scientifique à avoir rencontré le réalisateur oscarisé de la Marche de l'empereur, avec l'espoir que sa caméra aide à populariser «son» espèce fétiche en voie de disparition ou son territoire menacé. A tous Jacquet a dû dire non, faute de « modèle économique », explique-t-il ce soir, mais Francis Hallé, peut-être le plus illustre d'entre eux, saura le convaincre, après l'avoir emmené pour un séjour initiatique dans la forêt de Guyane. Entretemps, Jacquet a réalisé le Renard et l'enfant et pris le goût du risque, un peu plus. Il a aussi créé l'association Wild Touch. Avec toujours l'idée d'une narration et non d'un documentaire. Et cette fois, le protagoniste, cela sera l'arbre, le vivant faussement immobile !



Narration : le point de vue de l'arbre, 700 ans
La marque de fabrique de Luc Jacquet, c'est raconter une belle histoire comme vecteur d'émotion pour reconnecter le public avec la nature. Dans Il était une fois une forêt, aucun chiffre, aucune mise en contexte scientifique ni géographique : on ne sait pas où ont été tournées les images (en fait au Gabon et au Pérou) ni comment s'appellent ces arbres magnifiques comme le Moabi, au sommet duquel l'équipe juchera le scientifique. On suit Francis Hallé, souvent immobile, avec une voix off qui raconte sur le mode du « je » la naissance et la vie d'une forêt pionnière, puis primaire. Le récit détaille quelques faits emblématiques de cet écosystème, comme les relations tumultueuses entre les passiflores et les papillons. La musique s'entrelace avec les bruits extraordinaires de la forêt. Un orage, un jaguar, des fourmis qui repoussent une chenille sur une liane.

Jacquet explique que l'angle narratif n'est pas venu tout de suite, il a fallu de longues discussions avec Hallé et ses collègue scientifiques, jusqu' à ce qu'il apprenne qu'il faut 700 ans à une forêt primaire pour naître et atteindre sa maturité (en simplifiant). De cette durée jaillit l'idée de raconter la naissance et la mort de la forêt en ayant comme narrateur, Claude Hallé.

Les artifices pour passer au temps des arbres
« Je n'avais naturellement pas le temps de rester 7 siècles derrière la caméra », raconte Jacquet, pour expliquer certains procédés, dont l'utilisation des images de synthèse, qui s'entrelacent avec les plans réels pour simuler en accéléré la croissance des essences. L'intérêt est à la fois de montrer la mobilité des arbres et de « passer du temps des hommes au temps des arbres ». Audacieux, et réussi. De même, la scène de la mort de l'arbre n'est pas une mort naturelle, mais une coupe sur un chantier. Narration, et non documentaire.

Après le manchot, le tamarin empereur
Extraordinaire scène, dans le film, où l'on voit ce singe, le tamarin empereur, en train de se bafrer d'une fleur de liane et par là même de la polliniser. Avec ses pattes, la scène est d'une délicatesse et d'une poésie stupéfiante. Mais l'étonnement est d'entendre Jérôme Bouvier, le chef de l'équipe de tournage animalière, expliquer que l'animal était une vraie « pile électrique » ! Il se bafrait à toute berzingue, un vrai gamin. Le plan a été mis au ralenti, un artifice de plus au service de l'esthétique et du sens. Ralenti de l'animal, alors que le végétal est accéléré, mais qui permet de se mettre dans la temporalité de l'arbre et d'émouvoir par une beauté brute.

De cette lenteur mise en scéne, Francis Hallé et Luc Jacquet escomptent néanmoins une accélération : celle de la prise de conscience, puis de l'action du public pour enrayer la déforestation. D'où un site sur le making off et des expositions en complément.



Sortie en salle : le 13 novembre 2013

Site web consacré au making off : www.iletaituneforet-expedition.org

Lire aussi le portrait de Luc Jacquet sur le site de Terra Eco.


vendredi 25 octobre 2013

Guide de l'entrepreneur social / rue de l'échiquier

COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Paris, le 15 octobre 2013

Alors que la loi-cadre sur l’économie sociale et solidaire est sur le point d’être adoptée, les éditions Rue de l’échiquier publient LE premier guide complet pour répondre aux questions que se posent tous les (futurs) entrepreneurs sociaux.

Philippe Chibani-Jacquot, Thibault Lescuyer et Eric Larpin
Guide de l’entrepreneur social
Contact presse : Ingrid Saillard
01 42 47 08 26 / 06 27 81 40  69
ingridsaillard@ruedelechiquier.net

En librairie dès le 7 novembre 2013

384 pages indispensables pour les futurs changemakers.

Toutes les informations nécessaires à la réalisation d’un projet d’entreprise à finalité sociale sont réunies : un panorama complet du secteur, une présentation exhaustive des formations initiales et continues qui existent en France, les questions à se poser au moment de se lancer dans une aventure entrepreneuriale de ce type, un tour d’horizon des structures et programmes susceptibles d’accompagner et de financer les projets.
Sept « grands témoins » éclairent les différents sujets abordés en rendant compte de leur expérience : José ALCORTA (Rescoll), Béatrice et Gérard BARRAS (Ardelaine), Jérôme DECONINCK (Terre de Liens), Guillaume HERMITTE (Puerto Cacao), Patrick JACQUOT (Mutuelle des Motards) et Chantal MAINGUENÉ (Môm’artre).
Trois entretiens pour faire le tour des débats qui animent l’ESS : Christelle Van Ham et Alain Caillé sur l’impact social ; Christophe Chevalier et Philippe Frémeaux sur la gouvernance démocratique ; Jean-Marc Borello et Emmanuel Kasperski sur le changement d’échelle.

Les auteurs

Philippe Chibani-Jacquot est journaliste. Il écrit sur l’économie sociale et solidaire et la transition écologique. Il a publié de nombreux articles dans Politis et sur Novethic.fr. Il a corédigé plusieurs ouvrages édités par Alternatives économiques (dont La Fabrique de l’innovation sociale et La Consommation citoyenne).

Thibault Lescuyer est journaliste, spécialisé dans la responsabilité sociale d'entreprise (RSE), l'environnement et l'entrepreneuriat social. Il collabore à la lettre professionnelle de Youphil sur l’innovation sociétale et au site Novethic.fr.

Eric Larpin est journaliste spécialisé en économie sociale et solidaire. Il collabore à La Croix et Alternatives économiques. Il a publié L’épargne solidaire pour les nuls chez First (2011).

jeudi 19 septembre 2013

Maladies nosocomiales : l'élevage industriel est-il en cause ?

Alors qu'en France le gouvernement veut réduire l'usage d'antibiotiques dans les élevages industriels, une étude officielle américaine fait le point sur le développement des bactéries résistantes aux antibiotiques : 2 millions de personnes infectées par an, 23.000 morts. L'étude met en cause l'usage excessif de ces médicaments, non seulement chez les humains mais dans les élevages industriels. Un pavé dans la mare aux cochons !



Aux Etats-Unis, les bactéries résistantes aux antibiotiques, dont les plus virulentes, les « superbugs », ne connaissent pas la crise : 2 millions de personnes sont infectées chaque année, 23 000 en meurent. Une partie des victimes développent l'infection lors d'un séjour à l'hôpital : ce sont les fameuses infections nosocomiales. Pour l'agence fédérale U.S. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), il faut d'urgence limiter l'usage des antibiotiques non seulement chez les humains, mais aussi chez les animaux d'élevage. Le CDC s'inquiète aussi du peu de moyens mis par les laboratoires pharmaceutiques pour développer des nouveaux antibiotiques (une inquiétude qui n'est pas nouvelle, voir à ce sujet un article publié dans La Recherche en 2005 - et la note 1).

L'étude du CDC, diffusée lundi dernier, 16 septembre, a été vite reprise par Thomson Reuters et en France, par le Huff Post et le Nouvel Obs. Elle recense les bactéries résistantes suivant leur degré de dangerosité, analyse les causes de leur émergence et fait toute une série de recommandations, dont en premier lieu la réduction dans l'usage des antibiotiques. « Jusqu'à la moitié de l'utilisation d'antibiotiques chez les humains et une grande partie chez les animaux n'est pas nécessaire », estiment les scientifiques, après avoir rappelé que les résistances se développent d'autant plus que le médicament est largement utilisé et donc présent chez les Humains et chez les animaux. Car l'étude, n'en déplaise à certains commentaires sur le Huffington Post français, fait clairement le lien entre l'usage des antibiotiques dans l'élevage industriel et l'essor de ces résistances... battant en brèche les déclarations de vertu des éleveurs.

Les éleveurs américains sont dans le déni
Comme le relève mon confrère Tom Philpott du média Mother Jones, le rapport du CDC contredit le discours des éleveurs américains, dans un pays où presque 80% des antibiotiques consommés sont utilisés dans les fermes. Qu'on en juge :

D'après le site web du National Pork Producers Council (fédération des éleveurs de porc), l'usage des antibiotiques serait proportionné et le CDC n'aurait trouvé « aucun lien prouvé entre l'usage des antibiotiques chez les animaux et l'échec d'un traitement chez les Humains ». Mais la nouvelle étude du CDC dit, en substance, exactement le contraire, comme le résume son schéma explicatif :


Et Philpott de pointer la contradiction :

Pour le CDC, « ces médicaments devraient être utilisés seulement pour traiter les infections ».

Alors que pour le National Pork Producers Council, l'usage des antibiotiques dans les porcheries industrielles est recommandé pour « le traitement des infections, mais aussi « pour la prévention des maladies, le contrôle des maladies » ainsi que et pour « l'efficacité nutritionnelle des animaux », vous savez, l'effet « boeuf » des antibios qui fait grossir (ou grassir) plus vite les bestiaux.

Le rapport du CDC est en fait terriblement explicite. Pour la bactérie campylobacter par exemple (une des principales causes d'infection dans les élevages), le CDC recommande d' « éviter l'usage inappropriés des antibiotiques dans les élevages » et de recenser l'usage de ces antibiotiques dans la nourriture animale. Forcément, pour réduire, il faut déjà connaître et suivre le niveau d'usage, ce qui n'est pas obligatoire aux USA.

Le staphylocoque doré est corrélé au lisier de porc
Tiens, l'étude s'intéresse aussi au staphylocoque doré, vous savez, cette petite bête qui est une des maladies nosocomiales les plus connues, de par son joli nom et le funeste sort qu'elle réserva à Guillaume Depardieu... Soyons clair, le CDC ne pointe pas un lien de causalité direct entre les antibios dans les élevages et la mortalité humaine dûe au staphylocoque (plus de 11.000 morts par an aux USA), il se borne à souligner l'augmentation des morts. Mais une autre étude, relevée par une collègue de Philpott, et publiée dans Nature ce mois-ci, a fait une découverte troublante : une proportion très élevée des personnes infectées par deux variétés de ce staphylocoque (CA-MRSA et HA-MRSA) avaient été en contact avec le lisier (urine et excréments) de porc : « les personnes qui ont été le plus exposées au lisier – exposition définie par leur proximité d'habitat avec une ferme, par la taille de la ferme et par la quantité de lisier - ont 38% de plus de risques d'attraper le CA-MRSA et 30% de plus d'attraper le HA-MRSA ».

Pour Tom Philpott, la conclusion à en tirer est que l'élevage industriel est devenu « un moteur important de la menace des résistances aux antibiotiques ». Mais comme il le souligne, à l'unisson de l'étude du CDC, un des autres aspects préoccupants de cette histoire est que l'industrie pharmaceutique se désintéresse ces dernières années de la recherche de nouveaux antibiotiques.

Dans ce contexte, la volonté du ministre de l'agriculture Stéphane Le foll, annoncée il y a un an, de réduire de 25% en 5 ans l'usage d'antibiotiques dans l'élevage, pourrait être applaudie par le CDC. Par contre aux USA le laissez-faire risque bien de perdurer, pour le plus grand bonheur des « superbugs ». Quant aux éleveurs français, certains pourraient continuer d'aller en douce en Espagne, acheter des antibiotiques. Car comme le signale le Canard Enchainé du 18 septembre dans son conflit de canard, un superbug dans le décret de loi français interdisant l'import d'antibios non autorisés leur facilite la tâche...



crédit photo : Clocker / Flickr / Commons (épandage de lisier de porc)


(1) En 2005 le CDC avait déjà évalué à 2 millions le nombre de personnes infectées par an, mais l'étude du 16 septembre est la première à passer en revue les bactéries résistantes et celles ultra-résistantes (superbugs) et à avoir évalué finement le nombre de morts annuelles, un nombre qui avait été auparavant... surestimé.



mercredi 29 mai 2013

Galice espagnole : la réouverture des mines d'or fait scandale

L'Europe s'acheminerait-elle vers la réouverture de ses vieilles mines d'or ? Au nord de l'Espagne, une entreprise canadienne est sur le point de réactiver une mine déjà exploitée, il y a 2000 ans, par les Romains. Mais une vidéo virale et une pétition sur change.org pourraient bien torpiller le projet. D'autres projets de mines sont à l'étude, en Galice et au Portugal.


Depuis le 21 mai, la vidéo connaît un succès viral sur internet. 345.000 vues en à peine une semaine. « Sauvons la Galice de la mégamine ! », ne fait pas dans la dentelle : la mine sévère, sur fond noir c'est de circonstance, des acteurs et « people » galiciens assènent : « Quelque chose de très grave est en train de se passer en Galice. Et peu de gens le savent. La Galice ouvre ses portes à des multinationales étrangères, pour se convertir en une grande mine à ciel ouvert. Des millions d'euros, oui, mais pour quelques uns seulement. Nous Galiciens, n'en retirerons que dévastation, pauvreté et quelques emplois précaires qui disparaîtront dans quelques années... Des mégaprojets pharaoniques, qui s'installeront à quelques mètres de réserves naturelles ». Et la vidéo se fait précise, accusatrice : « le projet le plus important est la mine de Corcoesto, où seront extraits 34 tonnes d'or ».

 

Corcoesto, l'or depuis les Romains
A Corcoesto, tout à recommencé en juillet 2010, quand Edgewater , une « start-up » minière créée un an plus tôt à Vancouver pour exploiter des mines de taille moyenne, a racheté la concession à Lundin Mining Corporation, elle-même canadienne. L'acquisition faisait suite au rachat partiel (à 45,9%) d'une mine d'or au Ghana, qui reste à ce jour le seul autre actif d'Edgewater. A l'époque en 2010, l'or est au plus haut et les fins limiers doivent se dire qu'ils font une affaire juteuse en Espagne. « Le projet a une infrastructure excellente, incluant un accès par route pavée et à l'électricité, via une ligne à 22 Kv qui traverse la propriété. Le site de Corcoesto consiste en trois concessions d'exploitation sur 774 hectares », précise le communiqué qui annonce l'opération. Contrairement aux esclaves des Romains et aux mineurs du 19ème siècle, qui ont utilisé des galeries souterraines, Edgewater prévoit une exploitation à ciel ouvert, pour extraire au total 323 000 onces d'or, soit 9140 kilos (chiffre de 2010), jusqu'en 2028. Ces chiffres ont ensuite été gonflés puisqu'Edgewater annonce désormais une production de 102.000 onces, soit 2900 kg d'or, par an.

Pharaonique, Corcoesto ? C'est plutôt un projet de taille moyenne, si on le compare aux mines d'Amérique du Sud et le site, en phase d'exploitation, ne devrait créer que 188 à 270 emplois directs, et 1600 emplois pendant la phase de mise en place. Aux yeux du gouvernement régional, la « Xunta » de Galice, du syndicat USO, le troisième plus gros syndicat d'Espagne, et de plusieurs élus locaux, comme le maire de la commune voisine de Cabanas de Bergantiños, José Muíño Domínguez, ces emplois sont suffisants, avec les garanties apportées par l'étude d'impact, pour justifier l'autorisation d'exploitation. Tous ont donc salué le feu vert donné au projet par le ministère de l'environnement, le 17 décembre 2012.

La Société Galicienne d'Histoire Naturelle, fer de lance
Mais comme on s'en doute cette décision ne fait pas que des heureux, à commencer par la Société Galicienne d'Histoire Naturelle (SGHN), qui a pris la tête de la contestation. Pour cette association scientifique de protection de l'environnement, l'une des plus anciennes d'Espagne, la mine d'or est avant tout « une menace pour la santé et les écosystèmes », du fait de l'utilisation du cyanure, qui va générer 8400 tonnes d'arsenic, et du dynamitage de la zone, qui crééra 17 millions de tonnes de déchets. Depuis peu, Corcoesto n'est plus la seule cible des écologistes : car une autre entreprise canadienne, Goldquest, fait aussi la une des médias galiciens pour avoir obtenu une autorisation d'exploration minière, dans une zone située à cheval sur deux « réserves de la biosphère » de l'Unesco (Río Eo-Oscos-Burón y Terras do Miño). Ces territoires contiennent de nombreuses espèces protégées, s'inquiète Serafín González Prieto de la SGHN, qui recense au total une dizaine de projets miniers à l'étude en Galice, dans les métaux précieux. Pour stopper cette vague d'industrie primaire, le directeur de la SGHN a lancé une pétition sur change.org qui connaît un franc succès, avec 170.000 signatures (au 29 mai). Après avoir convaincu la belle Sabela Aran, Carlos Blanco et autres célébrités galiciennes, la SGHN vient de rallier le patron du PS en Galice, Pachi Vázquez, qui déclare dans El Pais que la mine est une "autentica barbaridad" (intraduisible, et si...castillan !).

Jusqu'à présent, la contestation n'a pas débouché sur des actions à grande échelle sur le terrain, mais une première manifestation à Santiago (Saint Jacques de Compostelle) est annoncée pour ce dimanche (2 juin). Avant des occupations ? La Galice, plus que les autres régions d'Espagne, est sensibilisée aux risques écologiques, pour avoir été victime de la marée noire du Prestige, en 2002 et l'expérience acquise par les activistes, lors des mouvements Occupy et autres Indignados, pourrait bien élargir la contestation au delà de la Galice.

George Salamis, golden boy
Sur le site d'Edgewater, son actuel président, George Salamis, un brillant géologue diplômé de Polytechnique Montréal, fort de « 20 ans d'expérience dans la mine », est crédité d'avoir « joué un rôle intégral (...) dans plusieurs fusions et acquisitions pour des montants excédant un milliard de dollars et dans des initiatives financières significatives, puisqu'il a levé 800 millions de dollars auprès d'investisseurs ». Edgewater, qui n'a pas encore vendu une once d'or, pourrait bien se révéler le projet le plus délicat de sa carrière de golden boy.


Crédit photo : Brookiron / Viméo

lundi 20 mai 2013

Hans Rosling : un lego vaut mieux qu'un powerpoint

Des nouvelles de Hans Rosling ? Le professeur suédois est de retour avec cette fois des blocs lego pour expliquer la répartition du "fardeau" des émissions CO2 sur la population. C'est plus bricolé que quand il utilisait les graphiques dynamiques Trendalyzer, mais ça n'en est pas moins lumineux.



 
Pour ceux qui ne connaissent pas Hans Rosling, je conseille aussi sa mini-conférence sur la révolution des machines à laver : voir l'article que j'avais posté en mars 2011 sur le sujet sur mon précédent blog. L'occasion de voir que le prof est aussi un grand utilisateur des présentations multimédia :

http://lien-social.blogspot.fr/2011/03/hans-rosling-la-revolution-de-la.html

dimanche 19 mai 2013

Le Canada devient-il une monarchie du Golfe ?

 Spécialiste reconnu de la complexité et de la résilience, le professeur Thomas Homer-Dixon dresse un portrait sans concession de la stratégie énergétique de son pays, dans une tribune publiée par le New York Times.


Après la junk food, la « junk energy ». Dans une tribune publiée par le New York Times début avril, Thomas Homer-Dixon, professeur à la Balsillie School of International Affairs (un centre de recherche situé en Ontario) revient sur le virage pris par son pays avec l'exploitation massive des sables bitumineux (en anglais tar sands), ce pétrole non conventionnel trouvé dans le sol des forêts boréales en Alberta. A ses yeux, le choix de l'Etat canadien d'exploiter cette ressource à forte émission de carbone est non seulement une erreur stratégique vis-à-vis d'un objectif de transition énergétique (et d'économie décarbonée), mais c'est en passe de transformer le Canada, qui prend les travers des riches Etats pétroliers du Golfe. Quelques semaines après cette analyse sans concession, l'auteur de « The Upside of down », un livre consacré à la résilience et publié en 2006 (non traduit en Français et que je précise n'avoir pas lu) était interviewé sur la résilience et la « junk energy » par Anna Clarkpour le site Greenbiz (le 15 mai). Comme son analyse vaut le détour et qu'il est méconnu en France, je traduis quelques extraits de sa tribune dans le NYT (source 1) et de l'interview (source 2) : ce sera ma contribution, un peu décentrée, au débat sur la transition énergétique en France !

Le sable bitumineux : énergie sale (1)
Le pétrole issu du sable bitumineux est une « junk energy ». Chaque joule (unité d'énergie) investi dans l'extraction et la production génère seulement 4 à 6 joules sous forme de pétrole brut, alors que le pétrole classique (« conventionnel ») en Amérique du Nord produit environ 15 joules. Parce presque toute l'énergie nécessaire à cette production brûle de l'énergie fossile, le procédé génère du CO2 additionnel de façon très significative.

Son exploitation dévaste des vastes zones de forêts boréales à travers la mine de surface et la production. Elle prélève de grandes quantités d'eau sur les rivières voisines qu'elle transforme en déchets toxiques et la stocke dans des étangs.

Gaz de schiste : une bulle irréaliste (2)
Le retour sur énergie investie (EROI) est combien coûte l'accès à l'énergie. Ce concept, développé par Charles Hall du SUNY College of Environmental Science and Forestry, regarde combien d'énergie il faut pour exploiter de l'énergie. (…) Une fois qu'on a épuisé le coeur des gisements de gaz de schiste, qui donne le meilleur rendement, le EROI baisse de façon spectaculaire, comme le géophysicien David Hugues le démontre.

Certains des scénarios sur le gaz naturel sont totalement irréalistes. Il y a des intérêts énormes et très puissants qui veulent fait du gaz naturel un levier de changement à long terme. Mais leur vrai challenge (=leur motivation et leur défi) est surtout de réussir à conserver l'afflux d'argent dont ils ont besoin pour exploiter les gisements.

« Pipelines are Canada’s economic arteries. A recent CIBC study predicted as many as a million jobs from pipeline construction over the next two decades » Sean Read Progressive Contractors Association of Canada.

(…) Je n'hésite pas à parier que dans six ou dix ans cela va s'effondrer (la bulle du gaz de schiste, NDLR). Le gaz naturel peut servir comme un carburant de transition, mais il ne changera pas le challenge global auquel l'humanité fait face.
(…) Le rendement (EROI) pour les gaz de schiste par fracturation est de 13 pour 1 au coeur du puits, mais autour il est de 1 pour 1. Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique ?

Le Canada, nouvelle monarchie pétrolière (1)
Le Canada commence à présenter les caractéristiques économiques et politiques d'un état pétrolier.
Les pays avec d'énormes réserves de ressources naturelles souffrent souvent d'économies déséquilibrées et de cycles de boom/bust. Ils tendent aussi à avoir des économies à faible innovation parce que l'extraction des ressources les rend gros et heureux (fat and happy), du moins tant que les prix sont hauts.
(…)

Le plus alarmant est la façon dont l'industrie des sables bitumineux est en train de miner la démocratie canadienne. En suggérant que toute personne questionnant l'industrie est anti-patriote, ces groupes d'intérêt ont fait de l'industrie des sables bitumineux le troisième pouvoir de la politique canadienne ».

Quels enseignements pour la France ?
Je relie cette analyse avec le débat sur la transition énergétique en France avec ce qu'explique Daniel Lincot, chercheur au CNRS et directeur de l'Institut de Recherche et Développement sur l'énergie photovoltaïque (voir l'interview du chercheur sur France Inter, dans CO2 mon amour le 18 mai) : alors que l'énergie solaire est clairement sous-exploitée et sous-investie en France - contrairement à l'Allemagne, qui produit certains jours l'équivalent de 20 centrales nucléaires avec le solaire, la France doit-elle prendre le virage des gaz de schiste ? Sur le solaire, nous sommes des gnomes, pire, des lilliputiens, notamment en investissements en recherche et développement.

La question la mieux formulée est bien celle de Thomas Homer-Dixon : 
Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique (et de pollutions environnementales) ?



Comparaison Canada / France :
Puissance éolienne installée : 6201 MW in 2012 (vs 7400 MW en France)
Puissance solaire : 810 MW au Canada (vs 3126 MW en France)

Crédit photo : région de Fort McMurray (Canada). © Greenpeace / Rezac 

mercredi 13 mars 2013

Madrid.15M.cc : un documentaire Excellent, répulsif, important



15M: «Excelente. Revulsivo. Importante» 

Présenté au Cercle des Beaux Arts de Madrid (un lieu magnifique, soit dit en passant) en décembre dernier, "Excellent, révulsif, important" est un documentaire qui décrit de l'intérieur l'occupation de la Puerta del Sol par les "indignés" madrilènes. Il a été mis sur la toile début février.

Outre le fait qu'il fait (re)vivre cet évènement collectif inédit en Espagne, le docu pose aussi la question du sens et de l'avenir du mouvement... Un mouvement qui n'est pas mort ! Il subsiste et se prolonge à travers l'engagement protéiforme de ses participants, dont la plateforme 15.M.cc, qui promeut le documentaire, est un exemple.

(j'ai toujours pensé que les Indignés auraient un impact...  d'abord sur eux-même, ce qui en soi n'est pas si mince).

Que pensez-vous du mouvement du 15 mars? "Excellent, révulsif, important", répondit le patriarche des écrivains espagnols, José Luis Sampedro (né en 1917), interrogé par la radio Cadena Ser. C'est donc sa réponse qui donne le titre au long métrage.
 
L'auteur est Stéphane M. Grueso, un journaliste espagnol qui fut correspondant de la TV espagnole à Berlin.

Eh oui, il y a pile deux ans, l'Espagne s'embrasait, sans fumée blanche, dans la foulée du printemps arabe.

http://madrid.15m.cc/p/documental.html

http://steph.es/blog/