My tailor is reach
Alors
que le deuxième round des négociations entre la commission et les
USA vient de s'achever le 15 novembre et que le cycle suivant est
prévu à Washington en décembre, des voix s'élèvent pour
mettre en garde contre le « Partenariat pour le commerce et
l'investissement transatlantique», TTIP en anglais, qu'avaient lancé Obama, Barroso et Van Rompuy
en février 2013. Derrière l'objectif mirifique de faire de la relation
économique entre l'Europe et les USA « un plus grand moteur de
prospérité », ce traité menacerait en réalité la
souveraineté européenne, par exemple l'encadrement des OGM et des
produits chimiques. Qu'en est-il vraiment ?
Le sujet : s'attaquer aux barrières
non douanières
Le but du traité
n'est pas de diminuer les taxes douanières entre l'Europe et les
Etats-Unis : celles-ci ont déjà été laminées par les cycles
de négociations du GATT, comme l'Uruguay Round au point qu'elles ne
sont plus que de 4% en moyenne. Cette fois, il s'agit de lutter
contre ce que les experts appellent les barrières non tarifaires au
commerce : normes sanitaires et environnementales. Par exemple
le règlement Reach sur les produits chimiques.
L'intérêt : générer du PIB
« Des
recherches indépendants montrent que le TTIP pourrait accroître
l'économie européenne de 120 milliards d'euros par an et l'économie
américaine de 90 milliards. (…) Jusqu'à 80% de ces gains globaux
viennent de réductions de coûts liés à la bureaucratie et aux
régulations, ainsi que de la libéralisation du commerce des
services et des achats publics » (source : site web de la
commission européenne).
Et le
communiqué de la commission issu du deuxième round de négos
(novembre 2013) ajoute :
« Les
secteurs dans lesquels à la fois les USA et l'Europe souhaitent
développer la compatibilité réglementaire sont : les
appareils médicaux, les produits pharmaceutiques, les produits
chimiques, les pesticides, les technologies d'information et de
communication. Plus de secteurs pourront être discutés lors du
prochain round en décembre ou plus tard ».
Ces
éléments étant posés, passons en revue les sujets qui fâchent, en reprenant deux blocs de critiques récents, celui formulé par l'ONG Ecologie sans frontière (publié par l'Express) et celui d'un article de presse hollandais, relayé par Press Europ.
OGM
« Les
multinationales américaines et canadiennes pourront exporter dans
l'UE des viandes hormonées ou chlorées, des OGM ou encore de
produits comportant des pesticides dont l'utilisation est
actuellement interdite », écrivent Franck Laval et Sophie Bourges d'Ecologie sans Frontière, dans
l'Express.
Vraiment ?
Pas si sûr : à la question de savoir si l'UE sera obligée de
changer ses lois sur les OGM, les FAQ de la commission sur le traité,
en ligne sur le site de Bruxelles, sont claires : « Non,
pas du tout. Les lois de base, comme celles sur les OGM et celles qui
protègent la vie humaine, la santé animale, le bien-être,
l'environnement et les intérêts des consommateurs ne feront pas
partie des négociations ».
Verdict : une double contradiction. D'une part le traité s'intéresse aux produits chimiques, donc aux
pertubateurs endocriniens donc à la santé humaine. D'autre part les OGM en sont bien exclus et l'ONG force donc le
trait (elle a raison d'être vigilante).
Energie
« C'est
notamment l'interdiction de la fracturation hydraulique qui ne pourra
pas résister longtemps aux entreprises du secteur énergétique »,
disent les deux compères d'Ecologie sans frontière.
Là,
ils crient au loup un peu trop vite... Car on voit mal la
France signer un traité anti-constitutionnellement. En France, la
fracturation hydraulique est interdite par une loi de juillet 2011,
confirmée récemment par le conseil constitutionnel. Si ce blocage saute, ce ne sera pas à cause de ce traité, mais d'un revirement de l'opinion française (c'est mon opinion).
Trop d'arbitrage à venir
Le
loup a été levé par le journal hollandais NRC
Handelsblad, traduit en français par le site Presseurop
. Les négociations porteraient aussi sur le
renforcement du mécanisme d'arbitrage. L'arbitrage ? Ce sont
ces procédés jurifiques qui permettent aux grandes entreprises
d'attaquer les Etats devant des tribunaux d'arbitrage, pour préjudice
ou atteinte aux principes de libre concurrence. Par exemple, « quand
l’Allemagne a décidé après la catastrophe de Fukushima de cesser
de recourir à l’énergie nucléaire, la société suédoise
Vattenfall a invoqué un traité d’investissement bilatéral pour
réclamer 700 millions d’euros », écrit NRC Handelsblad.
Si
l'UE accepte la généralisation de l'arbitrage dans le cadre du
traité TTIP, « Nous
jetons notre souveraineté en pâture",
estime Monique Goyens, la directrice du Bureau européen des unions
de consommateurs (BEUC, 43 associations membres dont UFC Que
choisir), interrogée par ce journal.
Un vrai sujet donc et un vrai péril, que l'arbitrage.
Chimie :
Reach, l'ennemi à abattre ?
Affaiblir
Reach, c'est certainement un des gros enjeux des négociations.
Reach ? C'est le règlement européen « Registration,
Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals ». Entré
en vigueur en 2007 il impose aux fabricants de produits chimiques de
notifier les composants chimiques qu'ils utilisent, en spécifiant
leur degré de dangerosité (perturbateurs endocriniens, par exemple, ou gentilles molécules). Le règlement, bien qu'il soit complexe
et sans doute un peu trop bureaucratique dans sa mise en oeuvre, est
largement reconnu, en Europe, comme une avancée majeure vers plus de
transparence et de maîtrise des risques chimiques. Oui mais aux USA,
la vision est loin d'être la même.
D'après la plus grosse association d'entreprises chimiques aux USA, la
Society of Chemical Manufacturers and Affiliates (SOCMA), Reach est
ni plus ni moins que « la plus grosse barrière commerciale européenne pour les
petits et moyens producteurs chimiques américains » (selon le
site Environmental Leader)
De fait dans un communiqué de presse daté du 20 novembre et faisant référence aux négociations en cours, la SOCMA, qui regroupe par exemple des filiales américaines d'Air
Liquide et de BASF, déclare que « Reach,
qui est fondé sur le principe de précaution au lieu de l'approche
américaine de la gestion de produits chimiques, fondée sur les
risques, et la plus grosse barrière que les membres de la SOCMA ont
devant eux pour exporter en Europe »
Face à ces intolérables barrières au progrès universel, la SOCMA appelle à la création d'un médiateur
« ombudsman » pour faciliter l'accès des entreprises
chimiques américaines aux marchés européens et à augmenter le personnel de l'agence européenne en charge de Reac, l'ECHA. (Créer des emplois publics !!)
Le
mot clef de la fin : vision du monde, ou coopération
D'après
la Commission européenne, « le mot clef (du traité) est la
coopération réglementaire : créer des réglementations
similaires plutôt que de devoir les adapter plus tard ».
Sur le
papier, cela ne semble pas stupide, mais encore faudrait-il que les visions
du monde soient partagées. Or sur les OGM, sur le port des armes à
feu et on vient de le voir, sur le principe de précaution, c'est
loin d'être le cas. Conséquence, la réglementation similaire risque bien de se transformer en plus petit dénominateur, ou en nivellement vers le bas.
Mais que les Européens se rassurent un peu : puisque le projet de traité devrait être
signé par les 28 pays de l'Union européenne pour pouvoir entrer en vigueur, et vu qu'il touche à des sujets sensibles dans l'opinion publique
(OGM, perturbateurs endocriniens … ), on peut parier sans risque qu'il ne verra
pas le jour.
Et c'est ainsi que les hommes vivent...