mardi 29 octobre 2013

Il était une fois une forêt : master class

 A quinze jours de sa sortie en salle, le nouveau film de Luc Jacquet était projeté en présence de l'équipe, hier soir à Paris. Un débat s'ensuivit, sorte de « master class », détaillant la naissance du projet et les parti pris narratifs du créateur de la Marche de l'empereur. Jubilatoire.



Gros plan sur un crayon à papier en train de tracer une ligne sur une feuille blanche à dessin. Le crayon ébauche la courbe d'une feuille, puis cut ! Vision d'un homme seul dans une forêt, en train de dessiner. La caméra s'attarde un instant avant de s'éloigner à travers le sous-bois et de s'élèver lentement, comme un drône d'oiseau, suivant l'invitation des troncs d'arbres à grimper vers les hauteurs. Arrivée à la cime des géants verts, elle offre au spectateur le paysage époustouflant d'un océan de verdure, la forêt primaire.

A l'origine du projet, Francis Hallé
L'homme, c'est bien sûr le créateur du radeau des cimes, le biologiste Francis Hallé, protagoniste du nouveau film de Luc Jacquet et initiateur du projet. « Je les ai vu disparaître, les forêts primaires, à l'époque où j'ai commencé, dans les années 60, il y en avait partout. Il n'aurait pas été supportable de ne pas témoigner », explique Francis Hallé, en ce soir d'avant-première. Pour le biologiste, Luc Jacquet était l'homme de la situation.

De la marche de l'empereur à l'arbre Mohabi
Hallé n'est pourtant pas le premier scientifique à avoir rencontré le réalisateur oscarisé de la Marche de l'empereur, avec l'espoir que sa caméra aide à populariser «son» espèce fétiche en voie de disparition ou son territoire menacé. A tous Jacquet a dû dire non, faute de « modèle économique », explique-t-il ce soir, mais Francis Hallé, peut-être le plus illustre d'entre eux, saura le convaincre, après l'avoir emmené pour un séjour initiatique dans la forêt de Guyane. Entretemps, Jacquet a réalisé le Renard et l'enfant et pris le goût du risque, un peu plus. Il a aussi créé l'association Wild Touch. Avec toujours l'idée d'une narration et non d'un documentaire. Et cette fois, le protagoniste, cela sera l'arbre, le vivant faussement immobile !



Narration : le point de vue de l'arbre, 700 ans
La marque de fabrique de Luc Jacquet, c'est raconter une belle histoire comme vecteur d'émotion pour reconnecter le public avec la nature. Dans Il était une fois une forêt, aucun chiffre, aucune mise en contexte scientifique ni géographique : on ne sait pas où ont été tournées les images (en fait au Gabon et au Pérou) ni comment s'appellent ces arbres magnifiques comme le Moabi, au sommet duquel l'équipe juchera le scientifique. On suit Francis Hallé, souvent immobile, avec une voix off qui raconte sur le mode du « je » la naissance et la vie d'une forêt pionnière, puis primaire. Le récit détaille quelques faits emblématiques de cet écosystème, comme les relations tumultueuses entre les passiflores et les papillons. La musique s'entrelace avec les bruits extraordinaires de la forêt. Un orage, un jaguar, des fourmis qui repoussent une chenille sur une liane.

Jacquet explique que l'angle narratif n'est pas venu tout de suite, il a fallu de longues discussions avec Hallé et ses collègue scientifiques, jusqu' à ce qu'il apprenne qu'il faut 700 ans à une forêt primaire pour naître et atteindre sa maturité (en simplifiant). De cette durée jaillit l'idée de raconter la naissance et la mort de la forêt en ayant comme narrateur, Claude Hallé.

Les artifices pour passer au temps des arbres
« Je n'avais naturellement pas le temps de rester 7 siècles derrière la caméra », raconte Jacquet, pour expliquer certains procédés, dont l'utilisation des images de synthèse, qui s'entrelacent avec les plans réels pour simuler en accéléré la croissance des essences. L'intérêt est à la fois de montrer la mobilité des arbres et de « passer du temps des hommes au temps des arbres ». Audacieux, et réussi. De même, la scène de la mort de l'arbre n'est pas une mort naturelle, mais une coupe sur un chantier. Narration, et non documentaire.

Après le manchot, le tamarin empereur
Extraordinaire scène, dans le film, où l'on voit ce singe, le tamarin empereur, en train de se bafrer d'une fleur de liane et par là même de la polliniser. Avec ses pattes, la scène est d'une délicatesse et d'une poésie stupéfiante. Mais l'étonnement est d'entendre Jérôme Bouvier, le chef de l'équipe de tournage animalière, expliquer que l'animal était une vraie « pile électrique » ! Il se bafrait à toute berzingue, un vrai gamin. Le plan a été mis au ralenti, un artifice de plus au service de l'esthétique et du sens. Ralenti de l'animal, alors que le végétal est accéléré, mais qui permet de se mettre dans la temporalité de l'arbre et d'émouvoir par une beauté brute.

De cette lenteur mise en scéne, Francis Hallé et Luc Jacquet escomptent néanmoins une accélération : celle de la prise de conscience, puis de l'action du public pour enrayer la déforestation. D'où un site sur le making off et des expositions en complément.



Sortie en salle : le 13 novembre 2013

Site web consacré au making off : www.iletaituneforet-expedition.org

Lire aussi le portrait de Luc Jacquet sur le site de Terra Eco.


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