A quinze jours de sa sortie en
salle, le nouveau film de Luc Jacquet était projeté en présence de
l'équipe, hier soir à Paris. Un débat s'ensuivit, sorte de
« master class », détaillant la naissance du projet et
les parti pris narratifs du créateur de la Marche de l'empereur.
Jubilatoire.
Gros plan sur un crayon à papier en
train de tracer une ligne sur une feuille blanche à
dessin. Le crayon ébauche la courbe d'une feuille, puis cut !
Vision d'un homme seul dans une forêt, en train de dessiner. La
caméra s'attarde un instant avant de s'éloigner à travers le
sous-bois et de s'élèver lentement, comme un drône d'oiseau,
suivant l'invitation des troncs d'arbres à grimper vers les
hauteurs. Arrivée à la cime des géants verts, elle offre au
spectateur le paysage époustouflant d'un océan de verdure, la forêt
primaire.
A l'origine du projet, Francis Hallé
L'homme, c'est bien sûr le créateur
du radeau des cimes, le biologiste Francis Hallé, protagoniste du
nouveau film de Luc Jacquet et initiateur du projet. « Je
les ai vu disparaître, les forêts primaires, à l'époque où j'ai
commencé, dans les années 60, il y en avait partout. Il n'aurait pas
été supportable de ne pas témoigner », explique Francis
Hallé, en ce soir d'avant-première. Pour le biologiste, Luc Jacquet était l'homme de la situation.
De la marche de l'empereur à
l'arbre Mohabi
Hallé n'est pourtant pas le premier
scientifique à avoir rencontré le
réalisateur oscarisé de la Marche de l'empereur, avec l'espoir que
sa caméra aide à populariser «son» espèce fétiche en voie de
disparition ou son territoire menacé. A tous Jacquet a dû dire non, faute de
« modèle économique », explique-t-il ce soir, mais
Francis Hallé, peut-être le plus illustre d'entre eux, saura le
convaincre, après l'avoir emmené pour un séjour initiatique dans
la forêt de Guyane. Entretemps, Jacquet a réalisé le Renard et
l'enfant et pris le goût du risque, un peu plus. Il a aussi créé l'association Wild Touch. Avec toujours
l'idée d'une narration et non d'un documentaire. Et cette fois, le protagoniste, cela sera l'arbre, le vivant faussement immobile !
Narration : le point de vue de l'arbre, 700 ans
La marque de fabrique de Luc Jacquet, c'est raconter une belle
histoire comme vecteur d'émotion pour reconnecter le public avec la
nature. Dans Il était une fois une forêt, aucun chiffre, aucune
mise en contexte scientifique ni géographique : on ne sait pas
où ont été tournées les images (en fait au Gabon et au Pérou) ni comment s'appellent ces arbres magnifiques comme le
Moabi, au sommet duquel l'équipe juchera le scientifique. On suit
Francis Hallé, souvent immobile, avec une voix off qui raconte sur
le mode du « je » la naissance et la vie d'une forêt
pionnière, puis primaire. Le récit détaille quelques faits
emblématiques de cet écosystème, comme les relations tumultueuses
entre les passiflores et les papillons. La musique s'entrelace avec
les bruits extraordinaires de la forêt. Un orage, un jaguar, des fourmis qui repoussent une chenille sur une liane.
Jacquet
explique que l'angle narratif n'est pas venu tout de suite, il a
fallu de longues discussions avec Hallé et ses collègue
scientifiques, jusqu' à ce qu'il apprenne qu'il faut 700 ans à une
forêt primaire pour naître et atteindre sa maturité (en
simplifiant). De cette durée jaillit l'idée de raconter la
naissance et la mort de la forêt en ayant comme narrateur, Claude
Hallé.
Les artifices pour passer au temps des arbres
« Je
n'avais naturellement pas le temps de rester 7 siècles derrière la
caméra », raconte Jacquet, pour expliquer certains procédés,
dont l'utilisation des images de synthèse, qui s'entrelacent avec
les plans réels pour simuler en accéléré la croissance des
essences. L'intérêt est à la fois de montrer la mobilité des
arbres et de « passer du temps des hommes au temps des
arbres ». Audacieux, et réussi. De même, la scène de la mort de l'arbre n'est pas une mort naturelle, mais une coupe sur un chantier. Narration, et non documentaire.
Après le manchot, le tamarin
empereur
Extraordinaire scène, dans le film, où
l'on voit ce singe, le tamarin empereur, en train de se bafrer d'une
fleur de liane et par là même de la polliniser. Avec ses pattes, la
scène est d'une délicatesse et d'une poésie stupéfiante. Mais
l'étonnement est d'entendre Jérôme Bouvier, le chef de l'équipe
de tournage animalière, expliquer que l'animal était une vraie
« pile électrique » ! Il se bafrait à toute
berzingue, un vrai gamin. Le plan a été mis au ralenti, un artifice
de plus au service de l'esthétique et du sens. Ralenti de
l'animal, alors que le végétal est accéléré, mais qui permet de se mettre dans la temporalité de
l'arbre et d'émouvoir par une beauté brute.
De cette lenteur mise en scéne,
Francis Hallé et Luc Jacquet escomptent néanmoins une
accélération : celle de la prise de conscience, puis de
l'action du public pour enrayer la déforestation. D'où un site sur le making off et des expositions en complément.
Sortie en salle : le 13 novembre 2013
Site web consacré au making off : www.iletaituneforet-expedition.org
Lire aussi le portrait de Luc Jacquet sur le site de Terra Eco.
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