Alors qu'en France le gouvernement veut réduire l'usage d'antibiotiques dans les élevages industriels,
une étude officielle américaine fait le point sur le développement
des bactéries résistantes aux antibiotiques : 2 millions de
personnes infectées par an, 23.000 morts. L'étude met en cause
l'usage excessif de ces médicaments, non seulement chez les humains
mais dans les élevages industriels. Un pavé dans la mare aux
cochons !
Aux Etats-Unis,
les bactéries résistantes aux antibiotiques, dont les
plus virulentes, les « superbugs », ne connaissent pas la crise : 2
millions de personnes sont infectées chaque année, 23 000 en meurent. Une partie des
victimes développent l'infection lors d'un séjour à l'hôpital :
ce sont les fameuses infections nosocomiales. Pour l'agence fédérale
U.S. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), il faut
d'urgence limiter l'usage des antibiotiques non seulement chez les
humains, mais aussi chez les animaux d'élevage. Le CDC s'inquiète
aussi du peu de moyens mis par les laboratoires pharmaceutiques pour
développer des nouveaux antibiotiques (une inquiétude qui n'est pas nouvelle, voir à ce sujet un article publié dans La Recherche en 2005 - et la note 1).
L'étude du CDC, diffusée lundi dernier, 16 septembre, a été vite reprise par Thomson Reuters
et en France, par le Huff Post et le Nouvel Obs. Elle recense les
bactéries résistantes suivant leur degré de dangerosité, analyse
les causes de leur émergence et fait toute une série de
recommandations, dont en premier lieu la réduction dans l'usage des
antibiotiques. « Jusqu'à la moitié de l'utilisation
d'antibiotiques chez les humains et une grande partie chez les
animaux n'est pas nécessaire », estiment les
scientifiques, après avoir rappelé que les résistances se
développent d'autant plus que le médicament est largement utilisé
et donc présent chez les Humains et chez les animaux. Car l'étude,
n'en déplaise à certains commentaires sur le Huffington Post français, fait clairement le lien entre l'usage des antibiotiques
dans l'élevage industriel et l'essor de ces résistances... battant
en brèche les déclarations de vertu des éleveurs.
Les éleveurs américains sont dans
le déni
Comme le relève mon confrère Tom Philpott
du média Mother Jones, le rapport du CDC contredit le discours des
éleveurs américains, dans un pays où presque 80% des antibiotiques
consommés sont utilisés dans les fermes. Qu'on en juge :
D'après le site web du National Pork
Producers Council (fédération des éleveurs de porc), l'usage des
antibiotiques serait proportionné et le CDC n'aurait trouvé « aucun
lien prouvé entre l'usage des antibiotiques chez les animaux et
l'échec d'un traitement chez les Humains ». Mais la
nouvelle étude du CDC dit, en substance, exactement le contraire,
comme le résume son schéma explicatif :
Et Philpott de pointer la
contradiction :
Pour le CDC, « ces médicaments
devraient être utilisés seulement pour traiter les infections ».
Alors que pour le National Pork
Producers Council, l'usage des antibiotiques dans les porcheries
industrielles est recommandé pour « le traitement des
infections, mais aussi « pour la prévention des maladies, le
contrôle des maladies » ainsi
que et pour « l'efficacité nutritionnelle des
animaux », vous savez, l'effet « boeuf » des
antibios qui fait grossir (ou grassir) plus vite les bestiaux.
Le rapport du CDC est en fait
terriblement explicite. Pour la bactérie campylobacter par exemple
(une des principales causes d'infection dans les élevages), le CDC
recommande d' « éviter l'usage inappropriés des
antibiotiques dans les élevages » et de recenser l'usage
de ces antibiotiques dans la nourriture animale. Forcément, pour
réduire, il faut déjà connaître et suivre le niveau d'usage, ce
qui n'est pas obligatoire aux USA.
Le staphylocoque doré est corrélé
au lisier de porc
Tiens, l'étude s'intéresse aussi au
staphylocoque doré, vous savez, cette petite bête qui est une des
maladies nosocomiales les plus connues, de par son joli nom et le
funeste sort qu'elle réserva à Guillaume Depardieu... Soyons clair,
le CDC ne pointe pas un lien de causalité direct entre les antibios
dans les élevages et la mortalité humaine dûe au staphylocoque
(plus de 11.000 morts par an aux USA), il se borne à souligner
l'augmentation des morts. Mais une autre étude, relevée par une
collègue de Philpott, et publiée dans Nature ce mois-ci, a fait une
découverte troublante : une proportion très élevée des
personnes infectées par deux variétés de ce staphylocoque
(CA-MRSA et HA-MRSA)
avaient été en contact avec le lisier (urine et excréments) de
porc : « les
personnes qui ont été le plus exposées au lisier – exposition
définie par leur proximité d'habitat avec une ferme, par la taille
de la ferme et par la quantité de lisier - ont 38% de plus de
risques d'attraper le CA-MRSA et 30% de plus d'attraper le HA-MRSA ».
Pour Tom Philpott, la conclusion à en
tirer est que l'élevage industriel est devenu « un moteur
important de la menace des résistances aux antibiotiques ».
Mais comme il le souligne, à l'unisson de l'étude du CDC, un des
autres aspects préoccupants de cette histoire est que l'industrie
pharmaceutique se désintéresse ces dernières années de la
recherche de nouveaux antibiotiques.
Dans ce contexte, la volonté du
ministre de l'agriculture Stéphane Le foll, annoncée il y a un an,
de réduire de 25% en 5 ans l'usage d'antibiotiques dans l'élevage,
pourrait être applaudie par le CDC. Par contre aux USA le
laissez-faire risque bien de perdurer, pour le plus grand bonheur des
« superbugs ». Quant aux éleveurs français, certains
pourraient continuer d'aller en douce en Espagne, acheter des
antibiotiques. Car comme le signale le Canard Enchainé du 18
septembre dans son conflit de canard, un superbug dans le décret de loi français interdisant
l'import d'antibios non autorisés leur facilite la tâche...
crédit photo : Clocker / Flickr / Commons (épandage de lisier de porc)
(1) En 2005 le CDC avait déjà évalué à 2 millions le nombre de personnes infectées par an, mais l'étude du 16 septembre est la première à passer en revue les bactéries résistantes et celles ultra-résistantes (superbugs) et à avoir évalué finement le nombre de morts annuelles, un nombre qui avait été auparavant... surestimé.
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