Spécialiste reconnu de la
complexité et de la résilience, le professeur Thomas Homer-Dixon
dresse un portrait sans concession de la stratégie énergétique de
son pays, dans une tribune publiée par le New York Times.
Après
la junk food, la « junk energy ». Dans une tribune publiée par le New York Times début avril, Thomas Homer-Dixon,
professeur à la Balsillie School of International
Affairs (un centre de recherche situé en Ontario) revient
sur le virage pris par son pays avec l'exploitation massive des
sables bitumineux (en anglais tar sands), ce pétrole non
conventionnel trouvé dans le sol des forêts boréales
en Alberta. A ses yeux, le choix de l'Etat canadien d'exploiter cette
ressource à forte émission de carbone est non seulement une erreur
stratégique vis-à-vis d'un objectif de transition énergétique (et
d'économie décarbonée), mais
c'est en passe de transformer le Canada, qui prend les travers des
riches Etats pétroliers du Golfe. Quelques semaines après cette
analyse sans concession, l'auteur de « The Upside of down »,
un livre consacré à la résilience et publié en 2006 (non traduit
en Français et que je précise n'avoir pas lu) était interviewé
sur la résilience et la « junk energy » par Anna Clarkpour le site Greenbiz (le 15 mai). Comme son analyse vaut le détour
et qu'il est méconnu en France, je traduis quelques extraits de sa
tribune dans le NYT (source 1) et de l'interview (source 2) : ce sera ma contribution, un peu décentrée, au débat sur la transition énergétique en France !
Le sable bitumineux : énergie
sale (1)
Le pétrole issu du sable bitumineux
est une « junk energy ». Chaque joule (unité d'énergie)
investi dans l'extraction et la production génère seulement 4 à 6
joules sous forme de pétrole brut, alors que le pétrole classique
(« conventionnel ») en Amérique du Nord produit environ
15 joules. Parce presque toute l'énergie nécessaire à cette
production brûle de l'énergie fossile, le procédé génère du CO2
additionnel de façon très significative.
Son exploitation dévaste des vastes
zones de forêts boréales à travers la mine de surface et la
production. Elle prélève de grandes quantités d'eau sur les
rivières voisines qu'elle transforme en déchets toxiques et la
stocke dans des étangs.
Gaz de schiste : une bulle
irréaliste (2)
Le retour sur énergie investie (EROI)
est combien coûte l'accès à l'énergie. Ce concept, développé
par Charles
Hall du SUNY College of Environmental Science
and Forestry, regarde combien d'énergie il faut pour exploiter de
l'énergie. (…) Une fois qu'on a épuisé le coeur des gisements de
gaz de schiste, qui donne le meilleur rendement, le EROI baisse de
façon spectaculaire, comme le géophysicien David Hugues le
démontre.
Certains des scénarios sur le gaz
naturel sont totalement irréalistes. Il y a des intérêts énormes
et très puissants qui veulent fait du gaz naturel un levier de
changement à long terme. Mais leur vrai challenge (=leur motivation
et leur défi) est surtout de réussir à conserver l'afflux d'argent
dont ils ont besoin pour exploiter les gisements.
(…) Je n'hésite pas à parier que dans six ou dix ans cela va s'effondrer (la bulle du gaz de schiste, NDLR). Le gaz naturel peut servir comme un carburant de transition, mais il ne changera pas le challenge global auquel l'humanité fait face.
(…) Le rendement (EROI) pour les gaz de schiste par fracturation est de 13 pour 1 au coeur du puits, mais autour il est de 1 pour 1. Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique ?
Le Canada, nouvelle monarchie
pétrolière (1)
Le Canada commence à présenter les
caractéristiques économiques et politiques d'un état pétrolier.
Les pays avec d'énormes réserves de
ressources naturelles souffrent souvent d'économies déséquilibrées
et de cycles de boom/bust. Ils tendent aussi à avoir des économies
à faible innovation parce que l'extraction des ressources les rend
gros et heureux (fat and happy), du moins tant que les prix sont
hauts.
(…)
Le plus alarmant est la façon dont
l'industrie des sables bitumineux est en train de miner la démocratie
canadienne. En suggérant que toute personne questionnant l'industrie
est anti-patriote, ces groupes d'intérêt ont fait de l'industrie des
sables bitumineux le troisième pouvoir de la politique canadienne ».
Quels enseignements pour la France ?
Je relie cette analyse avec le débat
sur la transition énergétique en France avec ce qu'explique Daniel
Lincot, chercheur au CNRS et directeur de l'Institut de Recherche et
Développement sur l'énergie photovoltaïque (voir l'interview
du chercheur sur France Inter, dans CO2 mon amour le 18 mai) : alors
que l'énergie solaire est clairement sous-exploitée et
sous-investie en France - contrairement à l'Allemagne, qui produit
certains jours l'équivalent de 20 centrales nucléaires avec le
solaire, la France doit-elle prendre le virage des gaz de schiste ?
Sur le solaire, nous sommes des gnomes, pire, des lilliputiens,
notamment en investissements en recherche et développement.
La question la mieux formulée est bien
celle de Thomas Homer-Dixon :
Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique (et de pollutions environnementales) ?
Comparaison Canada / France :
Puissance éolienne installée :
6201 MW in 2012 (vs 7400 MW en France)
Puissance solaire : 810 MW au
Canada (vs 3126 MW en France)
Crédit photo : région de Fort
McMurray (Canada). © Greenpeace / Rezac
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