dimanche 19 mai 2013

Le Canada devient-il une monarchie du Golfe ?

 Spécialiste reconnu de la complexité et de la résilience, le professeur Thomas Homer-Dixon dresse un portrait sans concession de la stratégie énergétique de son pays, dans une tribune publiée par le New York Times.


Après la junk food, la « junk energy ». Dans une tribune publiée par le New York Times début avril, Thomas Homer-Dixon, professeur à la Balsillie School of International Affairs (un centre de recherche situé en Ontario) revient sur le virage pris par son pays avec l'exploitation massive des sables bitumineux (en anglais tar sands), ce pétrole non conventionnel trouvé dans le sol des forêts boréales en Alberta. A ses yeux, le choix de l'Etat canadien d'exploiter cette ressource à forte émission de carbone est non seulement une erreur stratégique vis-à-vis d'un objectif de transition énergétique (et d'économie décarbonée), mais c'est en passe de transformer le Canada, qui prend les travers des riches Etats pétroliers du Golfe. Quelques semaines après cette analyse sans concession, l'auteur de « The Upside of down », un livre consacré à la résilience et publié en 2006 (non traduit en Français et que je précise n'avoir pas lu) était interviewé sur la résilience et la « junk energy » par Anna Clarkpour le site Greenbiz (le 15 mai). Comme son analyse vaut le détour et qu'il est méconnu en France, je traduis quelques extraits de sa tribune dans le NYT (source 1) et de l'interview (source 2) : ce sera ma contribution, un peu décentrée, au débat sur la transition énergétique en France !

Le sable bitumineux : énergie sale (1)
Le pétrole issu du sable bitumineux est une « junk energy ». Chaque joule (unité d'énergie) investi dans l'extraction et la production génère seulement 4 à 6 joules sous forme de pétrole brut, alors que le pétrole classique (« conventionnel ») en Amérique du Nord produit environ 15 joules. Parce presque toute l'énergie nécessaire à cette production brûle de l'énergie fossile, le procédé génère du CO2 additionnel de façon très significative.

Son exploitation dévaste des vastes zones de forêts boréales à travers la mine de surface et la production. Elle prélève de grandes quantités d'eau sur les rivières voisines qu'elle transforme en déchets toxiques et la stocke dans des étangs.

Gaz de schiste : une bulle irréaliste (2)
Le retour sur énergie investie (EROI) est combien coûte l'accès à l'énergie. Ce concept, développé par Charles Hall du SUNY College of Environmental Science and Forestry, regarde combien d'énergie il faut pour exploiter de l'énergie. (…) Une fois qu'on a épuisé le coeur des gisements de gaz de schiste, qui donne le meilleur rendement, le EROI baisse de façon spectaculaire, comme le géophysicien David Hugues le démontre.

Certains des scénarios sur le gaz naturel sont totalement irréalistes. Il y a des intérêts énormes et très puissants qui veulent fait du gaz naturel un levier de changement à long terme. Mais leur vrai challenge (=leur motivation et leur défi) est surtout de réussir à conserver l'afflux d'argent dont ils ont besoin pour exploiter les gisements.

« Pipelines are Canada’s economic arteries. A recent CIBC study predicted as many as a million jobs from pipeline construction over the next two decades » Sean Read Progressive Contractors Association of Canada.

(…) Je n'hésite pas à parier que dans six ou dix ans cela va s'effondrer (la bulle du gaz de schiste, NDLR). Le gaz naturel peut servir comme un carburant de transition, mais il ne changera pas le challenge global auquel l'humanité fait face.
(…) Le rendement (EROI) pour les gaz de schiste par fracturation est de 13 pour 1 au coeur du puits, mais autour il est de 1 pour 1. Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique ?

Le Canada, nouvelle monarchie pétrolière (1)
Le Canada commence à présenter les caractéristiques économiques et politiques d'un état pétrolier.
Les pays avec d'énormes réserves de ressources naturelles souffrent souvent d'économies déséquilibrées et de cycles de boom/bust. Ils tendent aussi à avoir des économies à faible innovation parce que l'extraction des ressources les rend gros et heureux (fat and happy), du moins tant que les prix sont hauts.
(…)

Le plus alarmant est la façon dont l'industrie des sables bitumineux est en train de miner la démocratie canadienne. En suggérant que toute personne questionnant l'industrie est anti-patriote, ces groupes d'intérêt ont fait de l'industrie des sables bitumineux le troisième pouvoir de la politique canadienne ».

Quels enseignements pour la France ?
Je relie cette analyse avec le débat sur la transition énergétique en France avec ce qu'explique Daniel Lincot, chercheur au CNRS et directeur de l'Institut de Recherche et Développement sur l'énergie photovoltaïque (voir l'interview du chercheur sur France Inter, dans CO2 mon amour le 18 mai) : alors que l'énergie solaire est clairement sous-exploitée et sous-investie en France - contrairement à l'Allemagne, qui produit certains jours l'équivalent de 20 centrales nucléaires avec le solaire, la France doit-elle prendre le virage des gaz de schiste ? Sur le solaire, nous sommes des gnomes, pire, des lilliputiens, notamment en investissements en recherche et développement.

La question la mieux formulée est bien celle de Thomas Homer-Dixon : 
Pourquoi aller vers des sources à forte intensité (émission) de carbone et avec un faible retour sur investissement alors que nous avons clairement un problème de changement climatique (et de pollutions environnementales) ?



Comparaison Canada / France :
Puissance éolienne installée : 6201 MW in 2012 (vs 7400 MW en France)
Puissance solaire : 810 MW au Canada (vs 3126 MW en France)

Crédit photo : région de Fort McMurray (Canada). © Greenpeace / Rezac 

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