Aux Etats-Unis eBay
et Google ont été obligés de quitter le lobby ALEC. En France la
Société Générale a dû lâcher le projet Alpha Coal. Quant à Lego,
le fabricant de jouets a terminé son partenariat avec Shell. Ce ne
sont que trois exemples de grandes campagnes activistes qui ont
réussi en 2014. Rétrospective.
Climat
// eBay quitte
l'American
Legislative Exchange Council
Le 18 décembre, le
patron d'eBay annonce que son entreprise cesse
d'adhérer à l'American Legislative Exchange Council (ALEC). Motif : le lobby s'oppose à toute réglementation sur le changement climatique.
Créé
en 1973, l'ALEC
est
un lobby qui regroupe
environ
1800
parlementaires nord-américains et 200 grandes entreprises et
juristes. Sa principale activité est de faire passer des
propositions de lois, ou
d'articles de loi,
auprès des parlementaires des Etats, en cohérence avec
trois principes : « gouvernement limité, libre marché,
fédéralisme. » Mais
de
notoriété publique aux Etats-Unis, l'organisation
diffuse un discours climato-sceptique et
s'oppose à toute régulation sur le climat. D'après
le patron de Google Eric Schmidt, l'ALEC «a menti littéralement sur le changement climatique ». Google a quitté l'ALEC peu
de temps avant eBay, à
l'automne 2014.
Le départ d'eBay et de
Google signe la victoire des activistes de « Forecast the
Facts ». Cette initiative web, qui se traduit littéralement
par « Prévoir les faits », avait adressé plus de
100.000 signatures à eBay, le 18 décembre. Forecast the Facts est
une émanation du Citizen Engagement Laboratory. Elle vise désormais
AT&T, Verizon, FedEx et UPS. Avec un argument imparable : une
entreprise responsable ne peut pas décemment mener une politique de
décarbonisation de ses activités, afin de limiter ses émissions de
CO2 (ce que ces entreprises font) tout en finançant parallèlement
un lobby qui remet en cause la réalité du changement climatique.
Déforestation
// Kellogg's s'engage sur l'huile de palme
Le
14 février 2014,
Kellogg's
dévoile une nouvelle politique d'achat sur l'huile de palme.
Elle ne bannit
pas l'huile controversée
mais elle
marque une véritable inflexion : l'entreprise s'engage à
« s'approvisionner exclusivement en huile de palme avec
traçabilité et produite
sur un mode qui soit respectueux de l'environnement, socialement bénéfique
et économiquement viable ». Outre le respect des principes
RSPO (= huile certifiée
durable), Kellogg's s'engage
à protéger les forêts tropicales et les zones humides d'Asie.
On
ne jugera pas ici de l'efficacité réelle de cette
annonce : c'est un autre
sujet. Mais contentons-nous de souligner qu'elle
signifie
la réussite des
pressions mises sur
Kellogg's par plusieurs
organisations américaines.
L'une d'entre elles, le
projet Orangs , est une émanation de
l'organisation des Scouts féminines
(Girls Scouts USA, plus de 2 millions de membres). Orangs a été
fondé par deux jeunes « passionnaria » Madison
Vorva et Rhiannon Tomtishen en 2007. Après avoir créé une prise de
conscience sur les liens entre huile de palme et déforestation des habitats d'orang outangs, au
sein de l'organisation scout , les deux jeunes filles ont décidé de
faire pression sur Kellogg's, premier producteur mondial de céréales
matutinales et second producteur de cookies, une denrée dont les scouts
raffolent.
« Nous
communiquions avec le Directeur du développement durable de Kellogg's
depuis 2012 et l'été dernier nous avons apporté 115.000 pétitions
en partenariat avec SumOfUs, demandant à l'entreprise d'éliminer
toute connexion avec la destruction de la forêt de Tony le Tigre, en
lien avec les plantations d'huile de Palme ».
Investissement
(ir)responsable // Société Générale se retire de la mine de
charbon Alpha Coal
Le
5 décembre, un communiqué de presse de la Société Générale
annonce que la Banque n'est « plus impliquée dans le projet Alpha
Coal ». Victoire pour les activistes
de Bizi ! , des Amis de la Terre et d'Attac, qui menaient campagne,
certains depuis plusieurs années, contre le projet de mine de
charbon en Australie. La Société Générale n'avait pas encore
accordé de financement, mais elle assurait une prestation de conseil
financier pour le promoteur de la mine, la co-entreprise
indo-australienne GVK-Hancock. Le projet continuera, sans la
banque française.
Situé
sur le littoral du Queensland, Alpha Coal est un projet de mine de
charbon pharaonique, dont l'impact sur l'environnement et les
émissions de CO2 seront, s'il est mené à terme (et en prenant en
compte les émissions de CO2 dans les centrales électriques
indiennes), considérables. D'où l'opposition des trois
organisations non gouvernementales.
Ces
derniers mois, l'organisation basque Bizi ! s'était distinguée
en organisant des « picketing », c'est-à-dire des
occupations non violentes de succursales Société Générale. Son
message avait été renforcé par le retour de la question climatique
dans les médias, sur fond de conférences onusiennes : COP20 à Lima
et COP21 prévue à Paris.
Tant
le mode d'action (incluant des « picketing ») que
l'objectif (briser le contrat entre une banque française et un
industriel asiatique) font de cet événement une première.
Pétrole arctique
: Lego se fâche (presque) avec Shell
« Lego met fin à
50 ans de relations avec Shell », claironne Greenpeace le 9
octobre 2014. La veille, Jørgen Vig Knudstorp, le président du fabricant de jouet, a annoncé
que
son entreprise ne renouvellerait
pas son contrat de co-promotion avec Shell, un
contrat qui se traduisait
par la présence du logo du pétrolier sur des jouets Lego et
leur distribution en stations service.
La décision marque la victoire d'une campagne éclair de Greenpeace. Trois ans après sa campagne contre Mattel et Barbie sur la déforestation, l'ONG a frappé fort avec une vidéo diablement efficace, qui dépeint une marée noire dans l'océan Arctique. Contrairement à Total, Shell continue en effet d'envisager d'exploiter le pétrole dans cette zone du globe, alors que les risques environnementaux y sont particulièrement élevés. La vidéo avait été vue par plus de 6 millions de personnes, parmi lesquels plus d'un million avaient envoyé un email à Lego.
Campagne
Detox : Lidl s'engage sur les molécules toxiques
Greenpeace
toujours. Le 10 décembre, Lidl, deuxième chaîne de supermarchés
discount au monde, répond à la campagne Detox
de l'ONG en s'engageant à éliminer toutes les substances chimiques
dangereuses de sa production textile d'ici au 1er janvier
2020. L'engagement de Lidl est conséquent : en Allemagne, la
chaîne est devenue l'un des 10 principaux vendeurs de vêtements du
pays, avec plus d'un milliard d'euros réalisés chaque année.
Conformément
aux suggestions de Greenpeace , Lidl a publié un engagement très détaillé
avec un calendrier d'actions progressives, de 2015 à 2020.
L'entreprise ajoute une liste de onze molécules chimiques à bannir
en priorité. En fait, cette annonce n'est que la dernière d'une
longue série, qui a vu Puma, Adidas ... s'engager tour à
tour, au rythme des rapports d'enquête effectués par l'ONG en
Chine et en Europe. Le dernier rapport Detox, publié à l'été 2014, pointait la
présence de nombreuses substances toxiques (phtalates, etc) dans
plusieurs chaussures, T-shirts et autres vêtements vendus en Allemagne.
De quoi ces
« succès » sont-ils le nom ?
Ces
cinq réussites ne sont pas les seules, aux Etats-Unis par exemple,
un projet de terminal charbonnier dans l'Oregon
a été bloqué en août 2014, conformément au
souhait de plus de 20.000 Nord-américains, qui avaient fait pression
sur le gouverneur.
Mais
quelle leçon peut-on tirer de toutes ces campagnes ? Un premier fait
saute aux yeux : les causes qui ont gagné étaient
environnementales, et non pas sociales ou financières. Pourtant, des
campagnes existent sur des thèmes de justice sociale. Elles mobilisent moins.
C'est
le cas par exemple de la campagne pour garantir un salaire
vital aux ouvrier-e-s textiles d'Asie qui fournissent les multinationales.
Cette campagne internationale pour un « Asian floor Wage » existe depuis 2007. En France, elle est portée par le collectif
Ethique sur l'étiquette,
un collectif qui regroupe la CFDT et le CCFD. Sans grand succès
apparent à ce jour. Peut-être que les
objectifs, tels qu'ils sont conçus, sont moins lisibles, ou bien la sensibilité du public est plus faible.
Quant
aux « causes » financières, il ne semble pas y avoir eu
de campagne significative là-dessus en 2014. Rien par exemple, pour pousser les multinationales à abandonner l'optimisation fiscale.
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