A la culture de
légumes hors sol, ECF Farmsystems ajoute le poisson. Le résultat
s'appelle l'aquaponie et pourrait constituer une source
d'approvisionnement intéressante pour les habitants des villes.
Quand les déchets du poisson deviennent les ressources d'un potager
urbain, la symbiose est prometteuse... Zoom sur ECF Farmsystems,
pionnier du genre.

En
travaux. Sur la webcam d'ECF Farmsystems, l'internaute aperçoit la grue jaune qui a creusé l'emplacement de
la future serre et du bassin à tilapias. A l'arrière-plan, les
bâtiments administratifs sont déjà en place. « Nous
sommes en phase pour les délais, la construction de la serre
commencera dans une semaine »,
précise Nicolas Leschke, le patron de cette entreprise d'agriculture
urbaine pas comme les autres. La culture des salades, herbes
aromatiques et autres tomates commencera elle début décembre.
« Nous aurons les
premières ventes de légumes deux mois plus tard, après les
ajustements du début. Quant au poisson, les premières ventes
arriveront en juin 2015 ».
L'installation, d'une taille de 1800 m2, sera la plus grande ferme
aquaponique urbaine d'Europe.
L'aquaponie ?
C'est une version moderne de l'alliance ancestrale entre le végétal
et le poisson. Dans les rizières d'Asie, il n'était pas si rare
d'élever des poissons. Dans les containers recyclés d'Europe
(version « light » du projet ECF) et dans la ferme de
Berlin (le projet en taille moyenne), c'est nouveau, c'est tendance,
voici les poissons qui alimentent les plantes. De leurs déjections
on fait un engrais (en simplifiant). Le procédé, que m'avait décrit
Cédric Péchard, un des pionniers français de l'économie bleue
(tendance Gunter Pauli), en 2012, a été peaufiné outre Rhin par
l'Institut Leibniz d'écologie d'eau douce et de pisciculture IGB.
Total, voici une efficacité qui réduirait de 90% l'eau nécessaire
globale et de 70% l'espace nécessaire, selon ECF Farmsystems. Encore
faut-il des pionniers tous azimuth, municipalités, financeurs,
consommateurs, pour que l'évidence s'impose.
Une affaire de goût, ou
d'engagement ?
Surtout ne dites pas à Nicolas que ces
tomates n'auront pas de goût, ou qu'elle seront de la flotte en
rondelles, comme les trop belles tomates en grappes qui s'exhibent en
plein hiver à la pelle, chez Auchan ou Super U... « On
nous demande aussi si nos tomates ont le goût du poisson. Est-ce que
le maïs à un goût de merde ? », rétorque Nicolas,
un brin provocateur. Le goût de la tomate dépend avant tout de la
variété et de la nutrition de la plante. « Nous avons
choisi une variété de tomates qui pousse lentement, avec un
rendement à 35 kg par m2, contre 80 kg pour des tomates
industrielles ». Le goût est excellent, affirme-t-il. Les
sceptiques iront sur place pour vérifier.
Le terrain, pas un obstacle ?
Tout cela est bel et bien, mais trouver
un espace en ville à un prix raisonnable pour faire de l'agriculture
ne risque-t-il pas de s'apparenter à gravir l'Anapurna en tongs ? A
écouter Nicolas, ce n'est pas forcément le cas. L'entreprise ECF
loue son terrain à un promoteur privé pour une durée de 20 ans, à
un tarif « très bon marché » (que son directeur
refuse néanmoins de divulguer). Plutôt que d'installer une ferme
en centre ville, il convient de miser sur une zone industrielle en
proche périphérie, ou sur le toit d'un immeuble (pour un
container), ajoute Nicolas Leschke.
Soit.
Franchise, développement, modèle
économique
Mais les Français ne semblent pas,
actuellement, aussi intéressés par l'aquaculture que nos voisins
allemands (1). Peut-être préfèrent-ils les 1000 vaches servies sur un
plateau, que le tilapia au romarin. L'équipe ECF travaille sur
plusieurs autres projets de fermes en Europe, dont 2 au moins seront
en franchise, mais aucun de ces projets n'est prévu en France.
Dans chaque ferme aquaponique, le
tilapia cotoiera salades, concombres et tomates, avec un modèle
commercial de vente directe, similaire aux AMAP : un panier
hebdomadaire sur abonnement pour les légumes. Le tilapia, lui, sera
vendu 15 euros le kilos, sur place et via internet, à des
particuliers et des restaurateurs. Il faudra 150 abonnements de
panier légume et 15 tonnes de poissons vendues par an, pour
atteindre l'équilibre financier, d'après Nicolas Leschke.
Le tout pour un investissement initial, hors terrain, qui tourne
entre 500 et 1200 euros par mètre carré, tous frais inclus :
architecte, fondations, bassin, connections électriques et
chaleur...
Voilà de quoi réhabiliter le tilapia, poisson star des
piscicultures industrielles, parfois mal vu des écologistes. A
déguster grillé, avec du romarin et du citron.
(1) Cédric Péchard, promoteur de l'économie bleue de Gunter Pauli, fait partie des quelques Français ayant monté un projet d'Aquaponie dans des containers : U Farm. Projet abandonné pour se consacrer à la culture de champignons